Les conventions, Regina Spektor s'en moque pas mal. Faisant preuve d'une rafraîchissante liberté artistique que d'aucuns prendraient volontiers pour une douce folie, la jeune Américaine d'origine russe cultive cette délicieuse pointe d'excentricité qui fait voler en éclat les schémas traditionnels les mieux verrouillés. Finis le carcan universel du couplet-pont-refrain, les harmonies formatées et le chant classique ! Place aux compositions déstructurées, aux sorties de gammes intempestives et aux improvisations buccales ! Si le sixième album de la chanteuse, pianiste et compositrice Regina Spektor, What We saw From the Cheap Seats, est tellement précieux, c'est qu'il atteint des sommets par des voies qui n'ont rien de linéaires, et l'expérience est unique. C'est l'occasion ou jamais de procéder à une rééducation en règle de cet inestimable organe que l'on appelle « oreille », histoire de le débarrasser vite fait bien fait (et avec un indescriptible bonheur !) de tout soupçon de conformisme.
Pour ouvrir la boîte de Pandore, c'est ici...
Le saviez-vous ? Bilingue (russe, anglais), Regina Spektor lit également l'hébreu.
Le saviez-vous ? Bilingue (russe, anglais), Regina Spektor lit également l'hébreu.
Regina Spektor, une Moscovite à New York
Back in the U.S.S.R. : les premiers pas de Regina Spektor
Née en 1980 à Moscou dans une famille juive de musiciens – son père joue du violon et sa mère enseigne la musique –, Regina Spektor succombe, petite, aux charmes du classique sur un piano droit Petrof. Ses seules infidélités sont en provenance directe d'Europe de l'Est : des cassettes des Beatles, ou encore de Queen, viennent asticoter ses jeunes tympans innocents, la détournant (momentanément, rien de grave) du droit chemin.
Mais, parce qu'il y a un « mais » dans toute histoire digne de ce nom, il y a l'antisémitisme. Cet insupportable fléau qui sévit depuis des siècles sur le territoire russe et gangrène la communauté juive. Jusqu'à ce qu'arrive la Perestroïka et avec elle, la possibilité d'une vie meilleure : les frontières s'ouvrent, on peut désormais quitter l'URSS. Les Spektor décident alors de partir même s'ils doivent, dans la tourmente, abandonner le piano sur place. Regina a 9 ans quand elle s'installe dans le Bronx avec ses parents. Après avoir voyagé en Autriche puis en Italie, c'est en Amérique qu'ils obtiennent le statut de réfugiés. Nous sommes à l'aube des années 90, la guerre froide est toujours d'actualité, mais un souffle de liberté annonce déjà la chute imminente du mur de Berlin.
A New York, Regina Spektor continue ses études de piano classique jusqu'à 17 ans, s'entraînant sur un instrument de fortune dans les sous-sol d'une synagogue. Puis elle compose ses premières chansons et décide, conquise par l'exercice, de poursuivre sur la voie de la création artistique tout en subvenant à ses besoins en cumulant, en parallèle, divers jobs d'appoint. Son expérience la plus mémorable ? Un poste de chasseuse de papillons dans une ferme du Wisconsin. En 2011, elle boucle, avec les honneurs, sa formation musicale, le renommé programme de composition en studio au Conservatoire de Musique new-yorkais du Purchase College.
We're the kids in America : Regina Spektor & the music-go-round
Peu connue à ses débuts, Regina Spektor se produit dans les bars et les cafés, en Europe et aux États-Unis. C'est à cette époque que sont édités ses deux premiers albums auto-produits : 11:11 (2001) et Songs (2002). Puis en 2003, c'est le grand saut : elle fait la première des Strokes aux USA (au passage, elle enregistre Modern Girls and Old Fashioned Men avec eux) et des Kings of Leon en Europe, et signe dans la foulée un contrat avec la Warner. En 2004, Soviet Kitsch, son troisième album, paraît sous le label Sire Records. Coproduit par Gordon Raphael (connu pour sa collaboration avec les Strokes) et enregistré entre Londres et New York, ce nouvel opus marque un tournant dans la carrière de Regina Spektor qui, à 24 ans, accède à une notoriété internationale.
En 2006, un quatrième album sort, Begin To Hope. Le succès est fulgurant : les ventes s'envolent (le disque est certifié disque d'or aux USA, en Nouvelle Zélande et en Australie) et ses chansons font le tour du monde (Fidelity, On The Radio, Better, Après moi, Samson, Hotel Song...). Peter Gabriel fait une reprise d'Après moi. Better s'illustre dans la série télévisée How I Met Your Mother, Fidelity dans Grey's Anatomy et Field Below dans Esprits criminels. On peut entendre Hotel Song dans une publicité irlandaise de téléphonie mobile et Musicbox dans une campagne marketing de la grande chaîne de magasins J.C. Penney. That Time est retenue pour la bande originale du film Bons baisers de Bruges de Martin McDonagh, On The Radio pour Sortilège de Daniel Barnz et Hotel Song pour Petits meurtres à l'anglaise de Jonathan Lynn. Et ce n'est là qu'un aperçu !
En images, le clip de Fidelity, extrait du quatrième album de Regina Spektor, Begin To Hope :
Aussi, lorsque Regina Spektor sort en 2009 son cinquième album Far (avec, notamment, les titres Laughing With, Eet et Wallet), suivi de Live from London en 2010 (enregistré pendant sa tournée au Hammersmith Apollo Theater), l'engouement est-il à nouveau au rendez-vous. Comme il le sera en 2012, lors de la sortie très attendue du sixième album de Regina Spektor, What We Saw From The Cheap Seats...
Le nouvel album de Regina Spektor : What We saw From the Cheap Seats
Mike Elizondo (à propos de sa collaboration avec Regina Spektor) : « Regina Spektor est l'une des rares artistes qui continue à surprendre. Quand vous pensez l'avoir cernée, c'est justement là qu'elle vous assène quelque chose de complètement différent. »
Sortie dans les bacs le 29 mai dernier, la nouvelle aventure musicale de Regina Spektor, What We Saw From The Cheap Seats, a été enregistrée l'été dernier à Los Angeles. Fruit de huit semaines de travail avec le producteur Mike Elizondo (Fiona Apple, Pink, Alanis Morissette, Eminem...), le disque réunit d'anciennes et de nouvelles compositions majoritairement captées sur le vif pour la section piano-voix, les arrangements ayant été ajoutés par la suite.
Après un premier single, All the rowboats, paru 3 mois avant l'album, un deuxième single fait d'ores et déjà le bonheur des ondes, Don’t Leave Me (Ne Me Quitte Pas).
Regina Spektor, What We saw From the Cheap Seats : de Small Town Moon à Patron Saint
Un timbre envoûtant porté par des harmonies d'emblée reconnaissables : Small Town Moon, en ouverture du nouvel album de Regina Spektor, What We Saw From The Cheap Seats, ajoute à la traditionnelle ballade piano-voix l'irrésistible grain de folie que l'on aime tant chez cette artiste hors-du-commun. Bruits de bouche et vocalises, changements de rythme à répétition, sections parlées et effets vieux transistor, clin d’œil espiègle au célèbre morceau des AnimalsDon't Let Me Be Misunderstood : Oh Marcello fait la part belle à l'extravagance dévastatrice de Regina Spektor. On passe de la surprise au rire, du rire aux larmes, des larmes au vertige ; et lorsqu'à cette véritable frénésie instrumentale vient se greffer la référence biblique à Salomé (qui raffole des têtes servies sur un plateau), l'extase mystique est tout simplement inévitable. Divin !
« I love Paris in the rain » [NDLR en français : « j'aime Paris sous la pluie »], « ne me quitte pas mon cher » (et là, on pense évidemment au grand Jacques) : dans un savant mélange d'anglais et de français, le deuxième single de l'album, Don’t Leave Me (Ne me quitte pas), offre une nouvelle version d'un titre déjà présent sur l'album Song. Avec son rythme enlevé (impossible de ne pas frétiller des semelles) et ses marimbas, ses trompettes et autres saxophones, c'est notre premier coup de cœur.
En images, le clip de Don’t Leave Me (Ne me quitte pas), le deuxième single extrait du dernier album de Regina Spektor, What We Saw From The Cheap Seats :
« You're not dying, everyone knows you're going to love » [NDLR en français : « tu n'es pas en train de mourir, tout le monde sait que tu aimeras à nouveau »] : un piano, une voix, Firewood s'inscrit dans la veine, pour une fois classique, des ballades à texte. Ballade immédiatement suivie de Patron Saint, notre deuxième coup de cœur. Ici, tout est dans l'harmonie. Dans les surprenants changements de gamme. Écoutez bien le passage qui vient juste après le premier couplet, à partir de « She been skipping days ». Frissons garantis !
Regina Spektor, What We saw From the Cheap Seats : de How à Jessica
Dans la droite ligne des immortels slows des années 60, How parle d'amour, de cet amour viscéral qui s'épanouit bien au-delà de l'oubli et de la mort. Diffusé aux États-Unis dans la série télévisée Ringer en mars dernier, All the Rowboats, le premier single du dernier album de Regina Spektor, What We saw From the Cheap Seats, aborde un thème pour le moins original : il y est question de peintures, de galeries d'art et de musées, de marbres et de sculptures, et puis de violons, condamnés au silence dans leur tombeau de verre. Avec ses rafales de mitraillettes et sa mélodie incisive, ses sons et ses percussions électroniques, All the Rowboats rafle notre troisième coup de cœur.
Le clip d'All The Rowboats, premier single extrait du dernier album de Regina Spektor, What We saw From the Cheap Seats :
Politique, civisme, poignées de main, numéro, humanité... : Ballad of a Politician offre à la voix de Regina Spektor une tribune de choix où son timbre, ici plus rocailleux, flirte dangereusement avec la soul. Recueilli, on accuse notre quatrième coup de cœur.
Avec une introduction à la Erik Satie, Open ne se refuse rien : ni le pont, magnifique (à partir de « in the night the snow starts falling ») ; ni la montée en puissance (on y entend la respiration, rauque, de la chanteuse) ; ni l'envolée féérique en clôture (« Open up your eyes and then » [NDLR en français : « ouvre les yeux et là... »] : difficile de quitter un rêve aussi doux !...). Nouveau titre, nouvel horizon : The Party convoque les anniversaires, premiers de l'an et autres fêtes du calendrier au son du piano, des roulements de tambour façon parade de rue, et des bruits de bouche façon Regina Spektor. Savoureux ! Et c'est à Jessica, un court morceau aussi épuré qu'élégant, joué à la guitare folk, que revient le rôle, difficile s'il en est, de conclure cet admirable album.
Avec une introduction à la Erik Satie, Open ne se refuse rien : ni le pont, magnifique (à partir de « in the night the snow starts falling ») ; ni la montée en puissance (on y entend la respiration, rauque, de la chanteuse) ; ni l'envolée féérique en clôture (« Open up your eyes and then » [NDLR en français : « ouvre les yeux et là... »] : difficile de quitter un rêve aussi doux !...). Nouveau titre, nouvel horizon : The Party convoque les anniversaires, premiers de l'an et autres fêtes du calendrier au son du piano, des roulements de tambour façon parade de rue, et des bruits de bouche façon Regina Spektor. Savoureux ! Et c'est à Jessica, un court morceau aussi épuré qu'élégant, joué à la guitare folk, que revient le rôle, difficile s'il en est, de conclure cet admirable album.
Auteur : Cécile Duclos
Regina Spektor, What We saw From the Cheap Seats, 28 mai 2012
Retrouvez Regina Spektor sur le web : sur son site officiel, sur wikipedia, sur facebook, sur myspace et sur twitter.
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Le nouvel album de Regina Spektor : What We saw From the Cheap Seats, Regina Spektor, Sire Records, mai 2012. Voir tous les produits (CD, mp3, collectors...) autour de Regina Spektor |
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