lundi 10 septembre 2012

Delphine Bertholon, de Twist à L'effet Larsen

Delphine BertholonEt voici la rentrée ! Des classes, des films, des livres aussi. Cette année, 646 romans sont prévus courant de l’automne, dont certains très attendus comme le Barbe bleu de la coutumière Amélie Nothomb, ou les non moins habitués Olivier Adam, Laurent Gaudé (mais où est passé Mathias Enart ?), sans oublier le dernier Sylvie Taussig (1770 pages, ça va me tenir jusqu’à la rentrée prochaine). Mais pour l’heure, on est, pour les plus chanceux, toujours à bronzer sur une plage blindée, ou, pour les autres, à s’ennuyer ferme derrière son bureau ou à se traîner sous la couette par ces beaux jours de pluie (il est mort le soleil ?)… J’en profite donc pour revenir sur quelques unes de ces romancières que j’ai découvert cette année et dont les romans avaient, je l’avoue, échappé jusque-là à ma curiosité. Aujourd’hui, place à Delphine Bertholon avec deux romans, Twist et L’effet Larsen, qui ont résonné en moi avec une évidence tellement troublante que je réserve Grâce, sorti au printemps dernier, pour plus tard.

Pour ouvrir la boîte de Pandore, c'est ici...
Le saviez-vous ? Après avoir suivi des études de lettres, Delphine Bertholon a choisi le métier de scénariste.

Delphine Bertolon, Twist

« La violence est injuste d'où qu'elle vienne. » (Jean-Paul Sartre)

Delphine Bertolon, Twist Twist est le genre de roman que l’on se prend en pleine figure, comme une claque dont on garde l’empreinte sur la joue gauche pendant un bon moment. Monstrueux dans tous les sens du terme. Outre le sujet (une fillette, Madison, est enlevée un jour de pluie après l’école ; dans des cahiers, elle relate sa captivité dans un réduit coupé du monde pendant quelques années), Delphine Bertholon aborde dans ce roman à trois voix (tantôt Madi, tantôt sa mère à travers les lettres qu’elle lui écrit, bouleversantes et déchirantes, tantôt Stanislas, le jeune voisin, étudiant et moniteur de tennis) les conditions d’une séquestration (nous sont épargnés le viol et les abus sexuels) avec ses angoisses quotidiennes, la perte des repères spatio-temporels, le manque des autres, le manque d’hygiène, le manque de vie, le manque tout cours, l’absence, la peur de l’oubli, mais également l’espoir, ce lien indéfectible et viscéral entre une jeune adolescence et ce qui la retient à la vie, sa famille, sa vie d’avant et le souvenir du bonheur et des jours heureux.
Ce livre n’est pas sans nous arracher une petite larme de nostalgie quand il évoque toutes ces références générationnelles qui nous parlent à nous, ados des années 80 ou 90 : les converses, Dora l’exploratrice, Hello Kitty, Punky Brewster (mon Dieu, mais qui se souvient de Punky Brewster, qui passait dans Croque-Vacances ?), et cette référence à l’album photos en noir et blanc de Sally Mann (un magnifique album de famille qui déjà, à sa publication, avait suscité chez moi (et bien d’autres !) une vive émotion tant les photos de famille transpiraient l’amour filial et fraternel) ! Une grosse larme lorsqu'il s’agit de s’identifier à la mère ou à Madi, et de vivre en temps réel ce qu’elles endurent chacune de leur côté : Madi coupée du monde extérieur ; sa mère, coupée du monde des vivants, qui ne vit que dans l’espoir de retrouver sa fille. Et ce lien, mystérieux, invisible, qui les unit malgré tout dans l’absence, chacune de l’autre. Madi, avec sa fraîcheur, sa candeur, son innocence et son côté ado-rebelle attachant, nous rappelle notre enfance et notre adolescence. En tant que maman, c’est inévitable, on pleure en lisant les lettres de la mère de Madi, avec ce cri final, déchirant : « N’oublie pas que je t’aime, il faut que tu reviennes »). On comprend Stanislas, jeune étudiant en plein apprentissage de l’amour et de la vie d’adulte, et même le ravisseur, R, qui porte sa solitude, son enfance ingrate et malheureuse, son isolement, son désir de possession de l’autre.
C’est un roman terrible et magnifique à la fois, d’une force et d’une intensité incroyables ; un roman sur le manque, mais également un hymne à la maternité, à l’amour, à la vie. On passe de la tristesse, du désarroi absolu, de la rage, de l’émotion, à l’état pur, à l’espoir le plus improbable et merveilleux. Tout y est, à défaut d’être dit avec crudité, suggéré et écrit avec pudeur, sobriété et simplicité. Même si la violence, la dureté et la cruauté de la situation dans laquelle se trouvent Madison (d’où Twist) ne sont pas sans évoquer le saisissant Lovely Bones de Peter Jackson, Delphine Bertholon sait également nous livrer un récit plein de poésie, d’optimisme et d’espoir. Un peu comme ce livre pour enfant de Martin Waddell, La Mer Si Grande, qui illustre avec tendresse la relation privilégiée, unique et fusionnelle entre une mère et sa petite fille, parties la nuit, rejoindre et retrouver la mer. Comme Stanislas l’écrit en épilogue, j’étais « triste que tout soit terminé comme lorsqu’on achève un roman merveilleux, je suis resté longtemps là, immobile et fiévreux, digérant l’évidence », car c’est ce genre de livre que l’on referme avec regret et tristesse une fois lu…

Delphine Bertholon, L'effet Larsen

« Le devoir d'une fille est dans l'obéissance. » (Pierre Corneille)

Dans un autre genre mais tout aussi attachant, L'effet Larsen, parle d'une jeune ado, Nola, qui traîne son ennui d’ado dans un rade pourri histoire de se faire un peu d’argent, et de sa mère, Mira, qui glisse lentement et irrémédiablement vers la dépression.


C’est un autre roman sur le manque et l’absence (celle du père, assassiné au hasard dans la rue par un déséquilibré), sur la relation fusionnelle et inversée d’une mère avec sa fille, sur « l’insupportabilité » du monde tel un larsen assourdissant et destructeur (une allusion à la maladie dont souffre la mère, et au tableau que peint Nola comme pour exorciser les maux de Mira). Un monde dont la mère finit par se couper et un monde dans lequel Nola tente de survivre. La symbolique de l’oreille présente avec le tableau de la jeune adolescente, la défiguration du père, les nuisances sonores, les acouphènes, cet organe sur lequel la mère de Nola transfère et transpose toutes ses angoisses et sa douleur, nous fait de toute évidence penser à Blue Velvet de David Lynch. Tout fait mal, tout résonne en souffrance. Une douleur aigüe, stridente, insidieuse, insupportable. On entend ce qui n’est pas entendable. On supporte ce qui n’est pas supportable. Et au milieu de tout ça, une gamine, une ado, une presque femme, Nola, soutient sa mère, la gère au quotidien, prend soin d’elle, l’aide, l’assiste, la materne, la rassure. Nola, c’est la fille, la mère de la mère, la grande sœur, la confidente, la psy, l’infirmière, le mari, l’amant, sa bouée de sauvetage, elle est tout pour Mira. Je pense bien sûr à Sans elle d’Alma Brami, un magnifique roman sur la perte d’un enfant et la survie de l’autre.
Delphine Bertholon glisse dans ce livre quelques références aux années 80-90, dont le fameux Bilitis (je me souviens encore de la couverture orange de la cassette audio !) et cette relation parents-enfants tellement inhabituelle et symptomatique de ces années-là, avec des parents soixante-huitards, plus ados, désœuvrés, démunis et paumés que leurs enfants.
Une fois de plus, je suis scotchée par l’écriture de Delphine Bertholon, simple, limpide, concise, efficace et fluide. Tout va de soi. C’est tragique et pourtant plein d’espoir, un autre hymne à la vie. A suivre avec Grâce, sorti au printemps 2012.

Auteur : Karine Morel

Delphine Bertholon, Twist, 2008.
Delphine Bertholon, L'effet Larsen, 2010.
Crédit photos : Virginie Faucher

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Twist en poche :
Twist, Delphine Bertholon, J'ai lu, août 2010.
Voir tous les livres de Delphine Bertholon
L'effet Larsen en poche :
L'effet Larsen, Delphine Bertholon, J'ai lu, avril 2012.
Voir tous les livres de Delphine Bertholon



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