jeudi 19 janvier 2012

Virginia Woolf et Michèle Gazier : Entre les bulles

Virginia Woolf et Michèle Gazier : Entre les bullesVirginia Woolf, héroïne de bande dessinée ? Il fallait l'audace d'une plume avisée et l'élégance d'un grand illustrateur pour réussir un tel projet : Michèle Gazier (écrivaine, critique littéraire, traductrice et éditrice) et Bernard Ciccolini (illustrateur et scénariste) ont répondu présents à l'appel. Le résultat de ce pari insensé ? Un très bel ouvrage qui nous ouvre les portes de l'espace-temps, nous plongeant dans l'Angleterre de l'entre-deux-guerres à la rencontre de l'illustre romancière Virginia Woolf, dévorée par sa passion de l'écriture, les drames qui jalonnent sa vie, une existence trop étriquée, des accès dépressifs qui la conduiront au suicide, des amours contrariés, la lenteur du féminisme...
« La seule vie qui soit passionnante est la vie imaginaire » : l’œuvre de Virginia Woolf – romans, essais, journal... – n'a pas fini d'intriguer, d'inspirer, de captiver, de faire rêver, réfléchir, pleurer aussi. Hommage émouvant et passionnant, cet étonnant recueil nous fait traverser avec délicatesse les apparences de la vie tourmentée d'une remarquable artiste au destin tragique. Le livre fermé, on n'a qu'une envie : s'insinuer dans les méandres de l'esprit lumineux de Virginia Woolf en redécouvrant ses écrits, avec en tête, cette question sans réponse : « Qui était donc Virginia Woolf ? ».
A présent, il est temps de laisser la parole à Michèle Gazier, que « la perspicacité, l'intelligence, la rosserie, parfois » de Virginia Woolf ont toujours fascinée...

Pour ouvrir la boîte de Pandore, c'est ici...
Bonus : Dans son journal, Virginia Woolf écrit :
« Je ne veux pas être célèbre ni grande. Je veux aller de l'avant, changer, ouvrir mon esprit et mes yeux, refuser d'être étiquetée et stéréotypée. Ce qui compte c'est se libérer soi-même, découvrir ses propres dimensions, refuser les entraves. ».

Virginia Woolf et Michèle Gazier : naissance d'une bande dessinée hors-du-commun

« Il fallait peut-être regarder derrière les rumeurs et les images sur papier glacé »

Comment avez-vous eu l'idée de créer une bande dessinée sur la vie de Virginia Woolf ?
Michèle GazierCe n'est pas mon idée mais une commande. Ayant écrit un petit texte sur Nathalie Sarraute aux éditions Naïves dans la collection de Jean Rouaud, les « livres d'heures », j'ai été jointe par Françoise Cruz la directrice littéraire de Naïve qui m'a parlé de son projet de collection, « Grands Destins de Femmes », et m'a dit vouloir commencer avec Virginia Woolf et souhaiter que ce soit moi qui en soit la scénariste. J'ai d'abord refusé. J'aime beaucoup Virginia Woolf mais je ne suis pas spécialiste de littérature anglaise, mon rayon, c'est la littérature hispanique. Sa réponse : « ce que je veux, c'est un écrivain et c'est vous ». J'ai donc réfléchi, accepté à la condition de choisir le dessinateur. Bernard Ciccolini est un ami de longue date et je lui dis depuis des année que j'aimerais travailler avec lui sur un livre pour enfant. Françoise Cruz a rencontré Bernard et nous avons démarré tout de suite.

Comment s'est déroulée la création de la bande dessinée Virginia Woolf ?
J'ai travaillé en amont. Relecture de textes, chemin de fer avec beaucoup de citations et d'images pour que Bernard puisse s'en imprégner. De son coté, il a relu des textes de Virginia Woolf et des biographies. Nous avons fait un découpage ensemble et j'ai écrit les dialogues et le « récitatif ». Il a mis les séquences en image, apportant son propre imaginaire, ses références, ses couleurs. Travailler ensemble a été un bonheur !

Virginia Woolf

De quels livres vous-êtes vous principalement inspirée ?
Un peu de tout, mais du journal de Virginia Woolf en particulier.

Quel moment de la vie de Virginia Woolf a-t-il été le plus difficile à mettre en « bulles » ?
Il n'y a pas de moment particulier, mais la difficulté vient de ce que l'on garde et de ce que l'on sacrifie. Comment choisir ? Pourquoi telle situation plutôt que telle autre ? Comment donner le sentiment d'une continuité avec ces séquences ? Et aussi, comment évoquer l'écriture des livres sans lasser ?

Virginia Woolf et Michèle Gazier : un héritage spirituel

« Comment peut-on avoir peur de Virginia Woolf et dire que c'est une femme désespérée ? »

Vous et Virginia Woolf ?
J'ai toujours aimé Virginia Woolf, plus encore son journal que ses romans. Sa perspicacité, son intelligence, sa rosserie, parfois, m'ont toujours fascinée. Et aussi qu'elle soit toute sa vie durant et écrivain et critique littéraire. Cette générosité qu'il y a à lire l'autre, à en parler et que je partage.

Portrait de Virginia Woolf par Roger Fry, 1917

Comment avez-vous découvert Virginia Woolf ?
Je crois que les femmes de ma génération ont toutes lu Virginia Woolf. J'ai souvent eu des discussions sur son œuvre, sur ses points de vue sur l'écriture, son féminisme avec des amies. Nous en parlions comme de quelqu'un de proche. Et j'ai toujours lu ce qui s'écrivait sur elle car la femme m'intéressait, m'intriguait aussi. Sans doute le suicide de Virginia nous touchait-il aussi beaucoup.
J'ai beaucoup aimé le travail de Geneviève Brisac et Agnès Desarthe, cette manière d'aborder ensemble la femme et l'écrivain, l’œuvre et la vie.

Qu'est-ce qui vous intéresse dans la vie de Virginia Woolf ?
Il m'a semblé que la vie de Virginia Woolf n'était pas tout à fait ce qu'en disaient la plupart de ses biographes depuis la vaste bio faite par son neveu Quentin Bell qui était très proche de Leonard Woolf dont il épousait toujours les points de vue. Cette femme avait trop de vivacité, trop d'humour, elle aimait trop rire, cuisiner, recevoir, se moquer (cela, on le trouve dans de multiples témoignages de ses amis, dans sa correspondance ou même certaines pages de son journal) pour être réduite à une femme dépressive, triste, géniale mais si loin de la vie. Il fallait peut-être regarder derrière les rumeurs et les images sur papier glacé. C'est ce qu'a fait Viviane Forrester par exemple en épluchant la correspondance de Virginia mais aussi celle de Leonard avec ses amis.

Parmi les œuvres de Virginia Woolf, l'une d'elles vous touche-t-elle plus particulièrement ?
Le journal est le fil d'écriture qui relie tous les instants, toutes les pensées, toutes les situations de sa vie. Le jour où elle n'en peut plus de vivre, elle cesse d'écrire dans son journal. J'ai souvent trouvé dans ce journal des réponses à mes propres questions ou des interrogations mieux formulées que les miennes mais qui recouvraient ou dévoilaient les mêmes doutes, les mêmes enthousiasmes, les mêmes angoisses.
Ses romans qui puisent toujours dans sa vie ne me donnent pas toujours ce même sentiment de proximité. Mais j'aime infiniment La Promenade au phare ou Mrs. Dalloway.
Une chambre à soi est aussi un texte important pour moi. Virginia militante féministe est une dimension du personnage qui me touche. Comment peut-on avoir peur de Virginia Woolf et dire que c'est une femme désespérée ?

Quel trait de caractère vous séduit le plus chez Virginia Woolf ?
Son humour, son intelligence, sa lucidité, et cette manière de saisir le trait de caractère de l'autre qu'il veut cacher. J'aime bien sa façon élégante d'être un peu, voire très, rosse. Vivante en somme.

Selon vous, dans la vie de Virginia Woolf, quel est l'élément le plus tragique ?
Sans doute de n'avoir pas pu mener de front une vie de femme avec des amours, peut-être des enfants (elle témoignait à ses neveux une grande affection), et une vie d'écrivain. D'avoir été confinée dans une forme de cocon, certes fertile pour l'écriture mais qui ne lui permettait pas de vivre avec passion, qualité que lui reconnaissaient pour s'en inquiéter son mari ou même son amoureuse Vita.

Vita Sackville-West

Quels sont vos projets ?
Je publie un récit sur mon père : L'Homme à la canne grise, en février prochain, aux éditions du Seuil.

Virginia Woolf, Michèle Gazier et Bernard Ciccolini, éditions Naïve, 2011.

Bibliographie (non exhaustive) de Michèle Gazier :
L'homme à la canne grise, Seuil, février 2012
Le goût de la lecture,  Mercure de France, 2010
Nathalie Sarraute, l'après-midi (essai), Naïve, 2010
La Fille, Seuil, 2010
Une cuisine à soi, Nil Eds, 2008
Noir panthère, Jean-Paul Bayol, 2008
Un soupçon d'indigo, Seuil, 2008
Abécédaire gourmand, Nil Eds, 2008
En souvenir de vous (biographie), Seuil, 2006
Mont-Perdu, Seuil, 2005
Les Garçons d'en face, Seuil, 2003
Le Fil de soie, Seuil, 2001
L’Été du secret, Seuil jeunesse, 1999
Le Merle bleu, Seuil, 1999
Histoire d'une femme sans histoire, Julliard, 1993
En sortant de l'école (nouvelles), Julliard, 1992

Interview réalisée par Cécile Duclos le 16 janvier 2012

Mon espace conso
La bande dessinée Virginia Woolf
Virginia Woolf, Michèle Gazier et Bernard Ciccolini, éditions Naïve, novembre 2011.
Voir tous les livres de Michèle Gazier
Le journal de Virginia Woolf 
Journal intégral : 1915-1941, Virginia Woolf (Agnès Desarthe (Préface), Colette-Marie Huet et Marie-Ange Dutartre (Traduction)), Stock, 2008.
Voir tous les produits (Romans, essais, etc.) autour de Virginia Woolf
Le prochain livre de Michèle Gazier
L'homme à la canne grise, Michèle Gazier, Seuil, février 2012.
Voir tous les livres de Michèle Gazier



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