vendredi 10 février 2012

Livres audio : des livres à écouter pour le plaisir

Delphine de Vigan, Rien ne s'oppose à la nuitC'est rue de Fleurus, dans les locaux d'Audiolib, que nous rencontrons sa directrice, Valérie Lévy-Soussan. Passionnée par son projet, elle nous parle du succès d'Audiolib – qui publie près de 50 livres audio par an –, de la diversité de son public, de l'expérience inédite de cette autre forme de lecture, du marché du livre audio en France et à l'étranger, de l'élaboration des livres à écouter (du choix des voix à l'enregistrement en studio), de sa collaboration avec les maisons d'édition papier, et bien sûr, du plaisir que l'on a à redécouvrir un texte autrement. Plaisir oublié que nosrous ancêtres savouraient en famille ; plaisir que l'on a connu, enfant, en écoutant les contes de Grimm que racontait notre grand-mère avant d'éteindre la lumière ; plaisir qui revient enfin sur toutes les bouches et dans toutes les oreilles à l'ère du numérique, qui ravive la tradition orale en multipliant les supports de lecture (smartphones, baladeurs mp3, ordinateurs, tablettes...).


Pour ouvrir la boîte de Pandore, c'est ici...
Le saviez-vous ? Le temps d'écoute d'un livre audio peut aller de 2 heures (pour un livre court) à 25 heures (pour un livre de 600 pages). La vitesse de lecture correspond à environ 30 à 40 pages à l'heure.

Le succès d'Audiolib : les livres audio, un marché d'avenir

« Toutes les formes de lecture doivent être explorées et encouragées. »

Comment le projet Audiolib a-t-il commencé ?
Nous avons lancé Audiolib il y a bientôt 4 ans au sein d'Hachette, Albin Michel et France Loisirs. Le marché du livre audio se développait à l'étranger et le numérique prenait son essor. En France, l'offre était assez classique, de bonne qualité littéraire et artistique, mais par rapport à d'autres pays, elle était insuffisante. Nous avons donc décidé de nous lancer sur le créneau de la littérature contemporaine, avec pour objectif de publier à des prix attractifs des livres audio très peu de temps après leur sortie papier. Avant, les livres audio coûtaient très cher – il fallait beaucoup de CD ! –. Avec le format mp3 – 2 CD suffisent –, on peut proposer des boîtiers à des tarifs plus avantageux. Toutes les formes de lecture doivent être explorées et encouragées. On travaille avec les éditeurs d'origine, on reprend la couverture des livres, etc. ; au final, on obtient un produit qui recueille les suffrages des libraires comme des clients.

Livres audio : des livres à écouter pour le plaisir

Quelle est la position d'Audiolib sur le marché des livres audio ?
Sur le marché des livres audio adultes, nous sommes les leaders avec plus de 50% des parts. Nous ne faisons pas de livres audio pour la jeunesse car énormément d'acteurs occupent ce créneau, et l'offre est déjà abondante. De nombreux éditeurs de livres pour enfants publient des CD, des comptines, des contes pour enfants, etc. Contrairement à ce secteur – qui représente, c'est vrai, la majorité du marché du livre audio en France – , le livre audio pour les adultes reste sous-exploité. Sur ce segment-là, on a donc rapidement atteint la première place et depuis, on continue à progresser.

Quelles sont vos principales plateformes de distribution ?
Plus de 90% de notre activité se fait en librairies (classiques, en clubs de livres avec France loisirs, dans les maisons de la presse, etc.). Le côté physique est donc très important pour nous. Bien sûr, nous sommes également présents sur Internet, dans les principales boutiques de vente en ligne – de libraires comme d'opérateurs qui ne vendent que sur le web –, et un peu en téléchargement. Mais pour l'instant, il n'y a pas vraiment de plateformes spécialisées dans le téléchargement de livres à écouter. Être répertorié dans un environnement musical, ce n'est pas terrible ; notre cible est différente.

Connaissez-vous la fréquentation du site Internet d'Audiolib ?
Oui, nous devons avoir un peu plus de 10 000 visiteurs uniques par mois. Mais le site est surtout fait pour écouter des extraits audio, c'est un site catalogue qui n'est pas destiné à la vente. Nous ne voulons pas concurrencer d'autres réseaux. On ne dépense donc pas d'argent pour le trafic. On veille néanmoins à ce que le site soit correctement référencé en le nourrissant de contenus, d'actualités et d'informations.

Le marché des livres à écouter en France et à l'étranger

« Nous commençons à changer la donne en modifiant l'offre. A présent, les gens s’aperçoivent que l'on peut écouter des choses contemporaines. »

Comment se positionne le livre audio en France par rapport aux autres pays ?
Nous sommes encore très en retard en France, même si ces trois dernières années, nous avons beaucoup progressé. Nous commençons à changer la donne en modifiant l'offre. A présent, les gens s’aperçoivent que l'on peut écouter des choses contemporaines.

Comment expliquez-vous ce retard ?
Au début, les livres audio étaient sur cassette ; les bandes s'emmêlaient, ce n'était pas très pratique. Sans doute aussi les Français n'ont-ils pas pris l'habitude d'écouter des livres en voyageant (comme le font les Anglais, les Allemands, etc.), en voiture ou en train. Et puis en France, on est très attaché au papier. Quand nous nous sommes lancés, on nous disait : « moi, j'aime bien le papier ». Mais dans les autres pays, c'est pareil. C'est en Allemagne, par exemple, qu'il y a le plus grand nombre de livres achetés par lecteur. Et cela n'empêche pas les Allemands, au contraire, d'écouter des livres audios. Ils profitent d'autres moments pour lire plus. 

Rousseau, citoyen du futur

Fabrication des livres audio : des livres à écouter... en studio

« Une heure d'écoute de l'un de nos livres audio correspond à 6 heures de travail en moyenne. »

Comment choisissez-vous les « voix » ? 
Les castings se déroulent dans nos locaux. Les studios nous envoient des enregistrements de  comédiens qui ont lu quelques passages significatifs de l'ouvrage choisi, et nous sélectionnons les voix en fonction de l'idée que nous nous faisons du texte. 

Les auteurs participent-ils parfois à ce choix ?
Les éditeurs nous font confiance  – nous avons plus de 200 titres dans notre catalogue –, c'est donc rare qu'un auteur assiste aux castings, et demande à valider le choix d'une voix. Bien sûr, cela arrive parfois, et nous trouvons cela très bien que l'auteur s'implique. 

Comment se déroulent les enregistrements des livres audio ?
Nous travaillons avec trois studios différents, où nous avons une cabine son, un ingénieur du son, etc. Nous assistons aux enregistrements (quand ils sont courts, à l'intégralité), répartis en plusieurs sessions. Par jour, nous organisons en général deux sessions de trois heures environ. Certains comédiens extrêmement endurants peuvent travailler toute une journée et faire presque 6 heures d'affilée, mais la voix, comme tout instrument, a ses limites. Une fois l'enregistrement terminé, l'ingénieur du son – qui est également très attentif pendant l'enregistrement, puisqu'il ne doit y avoir aucun bruit – réécoute l'ensemble, fait des coupes, assure le montage. C'est ce qui fait toute la difficulté des choses, bien sûr, mais aussi la différence entre des enregistrements amateurs que l'on va trouver gratuitement et nos livres. Une heure d'écoute de l'un de nos livres audio correspond à 6 heures de travail en moyenne ; et dans ces 6 heures, le comédien prend entre 1 heure et demie et 3 heures.

Les auteurs écoutent-t-il leur livre ?
Oui, quelque fois. Un peu trop rarement, malheureusement, mais c'est la même chose avec les livres papier. Les écrivains ne relisent pas toujours leur texte une fois publié. Par curiosité, certains écoutent leur livre, mais c'est souvent de la part de leur entourage que l'on a quelques retours. On aimerait bien en avoir plus d'ailleurs (rires)!

Livres audio, des livres à écouter pour tous

« Quand on lit beaucoup et que l'on perd ce loisir – l'un des plus beaux et des moins coûteux ! –, c'est très dur à vivre. »

Quel est votre client type ?
Nous n'avons pas de profil type. Nous faisons régulièrement des sondages, nous procédons à quelques enquêtes en demandant notamment à nos éditeurs de nous transmettre des informations. Globalement, la moyenne d'âge se situe aux alentours de 40 ans, et il y a toutes sortes de personnes : des hommes, des femmes, des jeunes, des personnes âgées, diverses catégories sociaux-professionnelles – avec pas mal de professions à domicile, de gens qui voyagent, de professeurs aussi –, des étrangers qui apprennent le français, etc. C'est très varié, et beaucoup plus large que ce que l'on pourrait imaginer. Bien sûr, nous comptons aussi parmi nos clients des personnes qui ne peuvent pas lire à cause de leur âge ou de leur vue. Cela représente environ 27% de notre clientèle. Évidement, ces personnes-là sont très heureuses d'avoir une offre à la fois fraîche et accessible ! La population vieillit, comme dans tous les pays européens, et lorsque l'on prend de l'âge, lire devient de plus en plus difficile. Quand on lit beaucoup et que l'on perd ce loisir – l'un des plus beaux et des moins coûteux ! –, c'est très dur à vivre. Alors continuer à lire en écoutant des livres – ce qui n'est pas encore un réflexe pour la plupart des gens –, pendant de longues heures, sans trop bouger, c'est vraiment très important.

Travaillez-vous avec l'Éducation nationale ?
Nous aimerions, mais c'est un peu compliqué ; l’Éducation nationale a ses propres organismes. En revanche, nous autorisons l'écoute de la plupart de nos CD en classe, et nous avons noué des partenariats pour des manuels scolaires de lycée (avec le groupe Hachette notamment), en général d'histoire géographie et de français. En fonction du programme, des extraits audio – par exemple, l’Écume des jours lu par Arthur H ou Une vie de Simone Veil – sont gravés sur les CD à destination des professeurs, en tant que ressource pédagogiques, et mis à disposition sur des sites Internet associés au manuel.

Quelle est la part du livre audio sur le marché du livre en général ?
Ce n'est pas très précis. Les livres audio représenteraient 1% du marché du livre dans sa globalité.

Comment s'organise votre travail avec les maisons d'édition classiques ?
Nous travaillons avec à peu près toutes les maisons d'édition (sauf Gallimard et ses filiales qui ont leur propre activité audio). Les sorties simultanées (audio / papier) sont parfois un peu acrobatiques. Nous recevons le programme des éditeurs, nous lisons les ouvrages qui peuvent nous intéresser – avant leur sortie donc –, et il nous arrive de faire le pari de sortir un titre avant d'être certains qu'il trouve son public. Mais souvent, nous préférons attendre sa publication papier.

Les livres audio, prêts pour la révolution numérique

« Il n'y a pas une façon de lire mais plusieurs, et aucune ne va à l'encontre de l'autre. »

On assiste aujourd'hui à ce qui pourrait s'apparenter à une nouvelle révolution du livre. Le support de lecture bascule du papier au dématérialisé, le monde de l'édition (comme de la distribution) est en pleine mutation, Internet explose... Que pensez-vous de tout cela ?
Les gens restent attachés à la matérialisation de leur achat. Un CD, c'est bien ; si on change d'ordinateur, on l'a toujours ; on peut le transférer, l'offrir. C'est un cadeau demandé, on le voit bien pendant les fêtes de fin d'année. Bien sûr, je pense que le téléchargement va prendre une part croissante du marché, mais cela devrait permettre d'atteindre un nouveau public. Avec le livre audio, nous n'avons pas besoin de « transformer » notre public ; les CD sont déjà au format numérique. Ce n'est pas la même chose que de passer du livre papier, que l'on peut toucher, au livre numérique, beaucoup moins sensuel mais plus pratique. Ce qui devrait changer, en revanche, se situe plus au niveau des plateformes de distribution qui proposent des offres légales.

Méditations

Menez-vous des projets de création de livres audio ?
Oui, c'est le cas de l'ouvrage Rousseau, citoyen du futur. Le double CD – qui est une création – est sorti en janvier et le livre de poche sortira mi-février. Nous avions déjà travaillé avec Jean-Paul Jouary pour l'adaptation audio de l'un de ses livres, Entrer en philo – un manuel d'initiation à la philosophie à destination des élèves comme des adultes –. C'est lui qui est venu nous voir avec cette nouvelle idée. En discutant, nous avons réalisé que le projet méritait plus d'ampleur, alors nous sommes allés voir le Livre de poche. Le coffret bien-être Méditations – 2 CD accompagnés d'un livret de 64 pages avec des conseils pratiques – est lui aussi une création originale. Il a connu un très grand succès – qui dure toujours ! – l'année dernière. C'est une initiation – laïque bien sûr – à la méditation, pour laquelle nous avons fait appel à un maître, qui est aussi philosophe. Dans notre société en quête de repères, où beaucoup de gens souffrent de stress, cela permet de faire un arrêt sur soi, et c'est important. Dans le domaine documentaire, c'est donc d'actualité ; dans le domaine de la fiction, en revanche, ce n'est pas du tout le cas, il y a suffisamment de maisons d'édition spécialisées dans cette activité au sein du groupe Hachette. D'autant que c'est un métier très difficile ; combien d'excellents livres ne trouvent pas leur public ? Après, bien sûr, il peut y avoir des partenariats avec des auteurs que l'on connaît par exemple, mais sur des produits très spécifiques.

Publiez-vous des pièces de théâtre ? De la poésie ?
Non, à ce jour, nous n'avons pas de projet sur ce secteur-là. Souvent, les éditeurs qui font des pièces de théâtre captent des enregistrements théâtraux ; ce n'est pas du tout le même métier. Et faire des pièces de théâtre à la lecture, conduire plusieurs acteurs – même si on le fait pour certains titres, quand il y a des échanges épistolaires, par exemple –, c'est vraiment très particulier. Et puis une pièce de théâtre prend tout son relief lorsqu'elle est jouée. Il n'y a pas que la voix qui entre en compte, mais aussi le jeu des acteurs, la mise en scène... Sur un support audio, elle perdrait une dimension, alors qu'habituellement, avec la voix, j'ai plutôt l'impression que l'on ajoute une dimension – qui existait avant, d'ailleurs –. Quant à la poésie, on en fera sûrement un jour.

Un message pour terminer ?
En France, on a pas mal d'idées préconçues, comme : « moi, je préfère lire ». Or écouter un livre, c'est vraiment une autre forme de lecture, une autre expérience. Moi, il y a des livres que je lis, d'autres que j'écoute. C'est une question de moments, de genres aussi. Certains grands lecteurs, par exemple, profitent de moments où ils n'auraient pas lu pour écouter des romans policiers ; ainsi, ils ne volent pas de temps au livre papier, et ils lisent encore plus. Je crois que ce qui est important, c'est d'essayer. Écouter un livre, c'est une expérience dont on n'a pas trop l'habitude. Cela demande une attention différente, et c'est vraiment très agréable. Il n'y a pas une façon de lire mais plusieurs, et aucune ne va à l'encontre de l'autre. Écouter un livre audio, c'est une façon différente d'appréhender une histoire, on entend autre chose. Que l'on soit littéraire ou au contraire, un peu rebuté par certains textes, ou par la lecture elle-même, c'est une belle façon de se laisse séduire par un récit.

Interview réalisée le 25 janvier 2012 par Cécile Duclos

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Le coffret Méditations :
Méditations - 12 méditations guidées pour s'ouvrir à soi et aux autres, Coffret Livre 64 p. et 2 CD audio, Durée 2 h, Audiolib, octobre 2011.
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