vendredi 6 avril 2012

Victor Hugo, l'exposition : Les arcs-en-ciel du noir

Victor HugoAvec près de 200 pièces au total, dont plus de 80 dessins de Victor Hugo, l'exposition Les arcs-en-ciel du noir (jusqu'au 19 août, à la Maison de Victor Hugo (Paris, IV)) propose un parcours original : traquer la couleur noire dans l’œuvre graphique et littéraire de l'artiste. Des hauts-parleurs diffusent en continu (dans chaque pièce) des extraits de textes de l'écrivain, des lettres. Sur les murs, dans les vitrines, derrière une lunette, se côtoient dessins, estampes, lettres, manuscrits, citations, livres anciens, divers accessoires (casquette, pommeau de canne, encrier, plumes, robe, pupitre, galets dédicacés...), photographies, affiches, caricatures, correspondance illustrée... Autant de trésors (pour certains, rarement présentés au grand public) exhumés à cette occasion des fonds du musée ! Et si certaines pièces font habituellement partie du fond permanent, accessible gratuitement (comme la judicieuse table à abattant, ou l'exceptionnel « Prenant le frais avec ses sept frères »), d'autres, véritables merveilles, ne prendront leur quartier d'été que pendant les mois à venir, alors profitez-en !

Pour ouvrir la boîte de Pandore, c'est ici...
Bonus : Si le soleil est au rendez-vous, n'hésitez pas à profiter pleinement du jardin public de la place des Vosges, de ses fontaines aux lions et de ses pelouses que l'on peut fouler à volonté (les enfants, de leur côté, pourront faire des pâtés dans le bac à sable ou caracoler sur l'aire de jeux) !

Un homme en noir, Victor Hugo : L'exposition Les arcs-en-ciel du noir

« De ce gouffre où le jour avec la nuit se fond... »
(Victor Hugo, La légende des siècles)

« Noire » comme la mélancolie, la mort, la culture gothique, la magie, la nuit, le néant... « Noir » comme Victor Hugo. L'exposition Les arcs-en-ciel du noir ne rend pas seulement hommage à l’œuvre graphique de l'artiste, elle met aussi en lumière son côté sombre, les liens occultes qui l'unissent au « noir », cette couleur qui n'en est pas une et qui pourtant est aussi essentielle, dans l'art, que le blanc, dans l'arc-en-ciel. La thématique ne manque ni d'originalité ni de poésie, et c'est à pas feutrés que l'on passe de pièces en pièces, dans cet appartement historique où l'écrivain, jadis, a vécu.

Victor Hugo, l'exposition Les arcs-en-ciel du noir

« Ne me parlez pas d'autre chose que des ténèbres où l'on dort ! »
(Victor Hugo, Les Contemplations, IV, Trois ans après, 1856)

Organisée en 7 volets, à la fois thématiques et chronologiques (on y retrouve les événements marquants de la vie de Victor Hugo), l'exposition Les arcs-en-ciel du noir n'est certes pas bien grande (comptez une heure, sans vous presser), mais pour si vous ne connaissez pas la collection permanente du musée (d'autant que le fond exposé change régulièrement), c'est l'occasion rêvée ! Car la Maison de Victor Hugo réserve bien des surprises, de la chambre de l'artiste aux portraits de famille, des lettres aux collections d'art, du buste de Rodin à cette vue, imprenable, que l'on a sur la place des Vosges.

Les jeunes années du fougueux Victor Hugo (l'exposition Les arcs-en-ciel du noir)

« Un matin je me suis dit : je ferai trois romans sur les numéros des trois premiers cabriolets que je rencontrerai aujourd'hui. J'ai rencontré les numéros 1699, 1792 et 1482. C'est pourquoi j'ai fait Han d'Islande, Bug-Jargal et Notre-Dame de Paris. » (Victor Hugo)

C'est avec « Noir comme la jeunesse », une section dédiée à l'influence du noir sur le jeune écrivain, que l'on entame notre plongée en eaux troubles. On y trouve, pêle-mêle, des illustrations de ses premiers romans : Notre-Dame de Paris, (Les Truands, une gravure sur bois de Gustave Doré, est remarquable), Han d'Islande ou encore Burg-Jargal. Mais aussi un cahier de géométrie des frères Hugo, une lettre de Victor à son père, des portraits du jeune homme... Et deux très beaux contretypes du jeune prodige, Le Fou et JVSTITIA (que l'on avait déjà pu apprécier en 2010 lors de l'exposition Crime & Châtiment au Musée d'Orsay). Une tête coupée, effrayante, qui vole dans les ténèbres ; la silhouette monstrueuse d'une guillotine : JVSTITIA proclame haut et fort l'engagement de Victor Hugo (l'exposition Les arcs-en-ciel du noir met en avant l'action politique de l'artiste) contre la peine de mort :
« Il y aura sur la place une guillotine de l’enfer où un démon exécutera un bourreau (…) » (Le Dernier jour d'un condamné, 1829)

Juliette Drouet

La section suivante, « Noir comme le théâtre des passions », lève le voile sur la vie amoureuse de Victor Hugo, pour qui la liberté d'aimer était aussi essentielle que la liberté de penser. Sont présentés ici ses échanges épistolaires avec deux de ces maîtresses, Juliette Drouet (en fond sonore, entre deux poèmes de l'écrivain à sa moitié, vous pourrez également écouter ces lettres) et Léonie d’Aunet, ainsi qu'un florilège d'attentions diverses, allant de gribouillages sur un morceau de papier à des croquis sur une lettre ou une page d'album. Et en vis-à-vis de ces idylles, bien réelles, vous découvrirez des photographies et des illustrations ayant trait aux amours fictives de l'écrivain, celles qui peuplèrent, à cette époque, son œuvre théâtrale (Hernani (1830); Lucrèce Borgia (1833) ; Angelo, tyran de Padoue (1835); Les Burgraves (1843)). Ne manquez pas, entre deux clichés noir et blanc, la Femme masquée retenant son manteau, un nu (ou presque) de Victor Hugo, et l'étonnant Homme à la barbe.

La maturité vient avec le voyage, et l'engagement (Victor Hugo, l'exposition Les arcs-en-ciel du noir)

« C'est au-dedans de soi qu'il faut regarder le dehors. »
(Choses vues, 1863)

Au fil de ses voyages, Victor Hugo visite l'Europe, la Suisse et les Alpes, de nombreuses régions de France, le Luxembourg, la Belgique, le Rhin... Noircissant des carnets de dessins et de notes, écrivant lettre sur lettre, il laisse de ses périples de précieux témoignages. Dans la section « Noir comme les voyages », vous pourrez en admirer quelque uns : Burg en ruines, dont le cadre est décoré par l'artiste lui-même ; les deux lavis d'encre brune irisés de gouache « Souvenir d'Espagne » (1850) et « Fracta Juventus » (1864) ; le surréaliste avant l'heure Vianden à travers une toile d'araignée ; Un château Renaissance, qui brille de jolis rehauts de gouache blanche. Proust écrira : « le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. ». Dans cette exposition consacrée à Victor Hugo, Les arcs-en-ciel du noir, c'est par les yeux de cet homme accompli, à la fois écrivain, politicien, journaliste, poète, historien, dessinateur, que l'on redécouvre le monde qui nous entoure, au cours d'un voyage dans le temps placé sous le signe des arts. Et de l'imaginaire : « où cesse la certitude historique, l'imagination fait vivre l'ombre, le rêve et l'apparence. » (Le Rhin (lettre XIV, 1842), Victor Hugo). Le « noir » comme voyage allégorique, nous voilà embarqués dans une errance aussi inquiétante que passionnante !...

La section suivante, « Noir comme la liberté », s'attache aux menaces qui pèsent sur la liberté, dans un contexte historique et politique particulièrement mouvementé. Après 20 ans d'exil entre Jersey et Guernesey (Victor Hugo paie chèrement son opposition à Napoléon III !), 20 ans qui seront aussi, heureusement !, une période d'intense création artistique, l'écrivain n'en démord pas : la peine de mort, les guerres sanglantes, la barbarie humaine le révulsent toujours au plus haut point. Baptisé « Ecce Lex » (1854), le célèbre Pendu hante aujourd'hui encore les mémoires : suspendue dans la pénombre, sa carcasse décharnée et grisâtre flotte au vent comme un fantôme, celui des atrocités commises au nom d'une justice discutable :
« Je juge les juges ; je condamne ceux qui damnent ; plus de glaive ; j'extermine l'échafaud, je combats la guerre, je tue la morte, je haie la haine. » (Océan, Victor Hugo)

Victor Hugo, l'exposition : Les arcs-en-ciel du noir, Le Pendu

Les plumes utilisées pour la rédaction des Misérables (1862) sont également exposées, parmi les illustrations de recueils de poèmes (Les Châtiments (1853), L'Année terrible (1872)), des lettres entrées dans l'histoire (notamment celles de Louise Michel, en 1871), d'autres dessins de Victor Hugo (le « Portrait de Mlle Dédé ou fraternité des races » aurait-il influencé Miró ?), des photographies et divers objets (le brûle-parfum offert par Alexandre Dumas mérite le détour, à l'instar des galets signés (dédicacés ?) par Victor Hugo...).

De l'exil à l’introspection, les dernières années de Victor Hugo (l'exposition Les arcs-en-ciel du noir)

« L'homme qui ne médite pas vit dans l'aveuglement, l'homme qui médite vit dans l'obscurité. Nous n'avons que le choix du noir. »
(Victor Hugo, William Shakespeare, 1864)

Sur le thème de l'introspection, de la descente infernale dans les méandres du moi, la section intitulée « Le choix du Noir » vaut son pesant d'or. « Connais-toi toi-même » disait Socrate, « tout homme […] est libre d'aller ou de ne point aller sur cet effrayant promontoire de la pensée d'où l'on aperçoit les ténèbres », répondra Victor Hugo. C'est dans cette pièce exiguë qu'ont élu domicile deux sublimes estampes de Victor Hugo (deux grands formats) : Le Phare des Casquets (1866), qui nous fait à la fois penser au château de Dracula et à celui de Kafka ; et Le Burg à la croix (1850), dont le cadre est peint et doré par l'artiste lui-même. Autour de ces deux chefs-d’œuvre, des photographies permettent de suivre l'aménagement d'Hauteville House, présenté ici comme une métaphore du travail de l'écrivain sur lui-même. Enfin, plantée au centre de la pièce, une étrange lunette pointe sur un non moins curieux pommeau de canne appelé Bifront en raison du double visage qui le compose, vivant d'un côté, à l'état de squelette de l'autre. Délicate vanité en ivoire offerte par le sculpteur James Pradier à Victor Hugo, elle finira sur le lit de l'écrivain, en guise de décoration, à Hauteville House. Oh ! Un petit conseil pour les incurables traîne-savates : levez les pieds sur la moquette si vous ne voulez pas être gratifié d'une généreuse décharge électrique en plaquant votre œil sur la lorgnette !

L'avant-dernière section, « Noir comme l'infini », s'ouvre aux forces obscures qui dirigent le monde, et face auxquelles on ne peut qu'avoir le vertige. Devant le lavis d'encre brune rehaussé d'aquarelle « Prenant le frais avec ses sept frères », on reste glacé d'horreur en découvrant aux côtés d'un homme assis les têtes coupées des sept frères, plantées sur des piquets. Sous une vitrine, une lettre adressée à Victor Hugo par l’emblématique Isidore Ducasse (aussi appelé Comte de Lautréamont), l'auteur des sanglants Chants de Maldoror mort à 24 ans. Plus loin, une lettre de Baudelaire à l'écrivain. Et sur un mur, ce cadre en bois monumental aux motifs japonisants, décoré d'oiseaux et de végétaux par un homme que l'on est en train de juger, à Paris. Les tâches manuelles vident l'esprit ; parfois, on appelle le noir de toutes ses forces.

En clôture de cette rétrospective consacrée à Victor Hugo, l'exposition Les arcs-en-ciel du noir, un nouveau paradoxe vous attend : « Noir comme l'éblouissement ». Dans une pièce muette plongée dans l'obscurité sont diffusés des textes de l'écrivain. Et voilà, c'est la fin. D'une exposition. D'une vie. D'une réflexion.

Auteur : Cécile Duclos

Informations pratiques :
Victor Hugo, l'exposition Les arcs-en-ciel du noir
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Textes lus par Louise Moaty et Benjamin Lazar
Commissaire : Annie Le Brun
Dates : du 15 mars au 19 août 2012
Adresse : Maison de Victor Hugo, 6 place des Vosges 75004 Paris
Horaires : tous les jours sauf lundis et jours fériés de 10 à 18h
Tarifs : plein 5 € ; réduit 3,5 € ; jeunes (-27 ans) 2,5€

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Le catalogue de l'exposition Les arcs-en-ciel du noir :
Les arcs-en-ciel du noir : Victor Hugo, Annie Le Brun, Gallimard, 141 pages, 15 mars 2012.
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