mercredi 30 mai 2012

Carole Martinez, Du domaine des murmures

Carole Martinez, Du domaine des murmuresLa pluie et le froid persistant, c’est avec une certaine délectation et un plaisir non dissimulé que je me suis réfugiée dans le livre de Carole Martinez, Du domaine des murmures. Et quelle jouissance que ce livre, quel plaisir infini j’ai eu à le lire ! Le genre de livre qu’on se plaît à lire au bord de la cheminée, au son de la bûche qui crépite au fond de l’âtre, sous la couette dans son lit ou vautrée dans le canapé, le corps emmitouflé dans un plaid en fourrure. Livre qu’on lit avec calme, régal tant les mots et le vocabulaire y sont riches, le sujet terriblement « jouissif » et l’intrigue palpitante.

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Le saviez-vous ? Le livre de Carole Martinez, Du domaine des murmures, a obtenu le prix Goncourt des lycéens en 2011.

Entre mysticisme et mystification : Carole Martinez, Du domaine des murmures

« L'homme est un animal enfermé à l'extérieur de sa cage. Il s'agite hors de soi. » (Paul Valéry)

Dans un temps résolument médiéval (quoique la transposition dans notre époque actuelle n’apparaisse pas si anachronique), la jeune Esclarmonde nous relate son histoire, son récit, celui d’une jeune fille qu’on veut marier de force et qui se « rebelle » en refusant. Sa désobéissance (plutôt que libre arbitre !) (« Jamais fille d’ici n’avait osé pareil affront »), sa non soumission à ce mariage dont elle ne veut pas, lui vaudra une oreille tranchée et l’enfermement imminent dans un réduit de la chapelle du château pas encore bâti. Elle préfère s’offrir à Dieu en réclamant qu’on l’enferme, jetant la honte et le déshonneur sur son père plutôt que de se voir mariée à un fougueux jeune homme, vaniteux, imbus et souilleur de femme.

Deux ans pour que la chapelle soit construite, avec en son sein le réduit, le caveau, la tombe pour la jeune fille vierge. Pendant ces 2 ans, Esclarmonde, bien que prisonnière, a pu vaquer dans ses « appartements » aux côtés de sa tante. Par un après-midi, le dernier, et voulant profiter une ultime fois de ce sentiment de liberté physique, et alors qu’elle doit rejoindre son réduit-geôle dans sa chapelle nouvellement bâtie, cette dernière est violemment, sauvagement violée dans les bois (le pire qui puisse arriver à cette jeune vierge qui va rejoindre le monde des morts dans quelques heures, jeune vierge qui va se livrer dorénavant à Dieu, son seul amour, son rédempteur). Elle accède éveillée et vivante, officiellement vierge et pucelle, avec son lourd et nouveau secret (seulement confié à sa sœur de lait Jehanne) à sa dernière demeure dans la chapelle Sainte Agnès, demeure qui n’est donc qu’une tombe dans sa petite cellule.

Carole Martinez, Crédit photo : Catherine Hélie

La première partie du livre relate le quotidien de cette détention, avec des phénomènes, par ailleurs inexpliqués, qui se produisent, et dans la cellule de la jeune fille, et dans le domaine. La jeune fille, malgré la souffrance de cette pénitence et de cette réclusion, trouve suffisamment de foi et de conviction pour tenir et pour, chose étrange, arriver à faire le bien dans tout le domaine et les terres voisines. Son ancien prétendant, Lothaire, est devenu doux comme un agneau et fidèle à sa jeune promise, sa sœur de lait a pu partir avec son amoureux, les gens du village vivent dans la prospérité à tel point que des pèlerins venus de partout affluent pour venir rendre grâce à cette jeune vierge « illuminée » emmurée miraculée. Tel est décrit le pouvoir des immobiles et recluses aux visions mystiques et extatiques.

Mais, Esclarmonde n’est pas rentrée seule dans son tombeau… C’est juste avant Pâques qu’elle donne naissance dans ce minuscule réduit à un petit Elzear, fruit de son viol avant son ensevelissement. Ce petit être sera son unique compagnon avec Dieu, son secours, mais également la preuve aux yeux du monde des hommes que ce petit est un signe et qu’Esclarmonde est bien une Sainte… Mais si tout cela n’était qu’une mystification ?

Loin de moi l’idée de vouloir tout dévoiler de ce récit de Carole Martinez, Du domaine des murmures, même si l’envie ne m’en manque pas.

Carole Martinez, Du domaine des murmures : un pur récit jubilatoire

« L'homme s'est lui-même enfermé jusqu'à ne plus rien voir qu'à travers les fissures étroites de sa caverne. » (William Blake)

Ce livre est un pur récit jubilatoire. Comment une fable peut devenir une farce incroyable, car oui c’est l’histoire d’une farce, et surtout son mécanisme, comment s’est montée, construite, s’est répandue cette farce. Bien sûr, le parallèle avec la religion catholique est aisé. Et si tout ce qui y est écrit était une farce depuis le commencement ? Et si cette farce, véhiculée à travers les siècles, n’avait fait que s’amplifier et s’enraciner dans l’inconscient collectif à tout jamais ? Et si tout cela n’était qu’une blague entretenue de génération en génération ? Et quand le doute s’installe…Oh non, ce ne peut-être que vrai. On cherche des stigmates, d’autres illustrations de cette croyance, d’autres preuves… qu’on trouve forcément.

Les murmures, ce domaine où on ne parle pas, où on ne dit pas les choses, où on les cache, où on les tait. On les enferme dans une geôle comme une faute inavouée, un secret… Et puis tout cela finit par sortir, comme une rumeur, une fable, un mythe. Comment monter un mythe au-delà des frontières de l’espace et du temps.

Manuscrit médiéval

C’est joliment écrit, avec de belles phrases, poétiques, malgré la rudesse et la violence de certaines situations décrites. C’est stylisé, structuré, aéré. Des mots riches, inhabituels, qui nous transportent au temps des croisés mais nous interpellent également sur notre condition actuelle. Celle de croyant au sens large, celle de femme au sens propre. 

Thématiques très actuelles, universelles, intemporelles. Ces mêmes coutumes et traditions qui perdurent et traversent les ages, ces mêmes rébellion et sentiments de révolte, d’injustice, réprimés violemment. Ce statut, cet état de femme à qui on fait durement et chèrement payée le fait d’avoir croqué la pomme. Subtile fusion et communion entre le monde médiéval et le contemporain… 

Je me suis bien réchauffée sous mon plaid en moumoute… Et c’est heureuse d’avoir pu lire un très bon bouquin que je retourne braver le froid et la pluie de cette fin avril…

Auteur : Karine Morel

Carole Martinez, Du domaine des murmures, Gallimard, août 2011
Crédit photo : Catherine Hélie

Bibliographie de Carole Martinez :
Le Cri du livre, Paris, Pocket Jeunesse, 1998
Le Cœur cousu, éditions Gallimard, 2007
Du domaine des Murmures, éditions Gallimard, 2011

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Le dernier roman de Carole Martinez :
Du domaine des murmures, Carole Martinez, Gallimard, août 2011.
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1 commentaires:

Métaphore a dit…

Magnifique critique! J'ai beaucoup aimé aussi!

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