vendredi 27 janvier 2012

Leopold Museum : de Schiele à Nitsch

Leopold Museum : de Schiele à NitschVienne. Autriche. Samedi 24 décembre 2011. Pendant que certains errent au Naschmarkt à la recherche de victuailles pour les fêtes de fin d'années (n’oubliez surtout pas de passer à la boutique Zotter pour y dénicher quelques tablettes de chocolat bio aux parfums et goûts improbables et aux si jolis emballages !), je me désolidarise de ma petite famille, et me dirige vers le MQ pour une petite matinée au Leopold Museum. Le billet en main, je file en direction du gros cube blanc et grimpe la vingtaine de marches. Un panneau sur la porte m’accueille avec un « 24-12 : Closed ». Dépitée, je retourne au guichet où la caissière, un peu fofolle, m’annonce qu’effectivement, c’est fermé aujourd’hui, mais que je peux revenir demain, ce sera ouvert. Heureusement, je suis encore là demain, c’est Noël !

Pour ouvrir la boîte de Pandore, c'est ici...
Le saviez-vous ? C'est aux niveaux 1 et 2 du Leopold Museum que vous pourrez vous désaltérer et faire les boutiques... du musée.

La collection permanente du Leopold Museum

24 heures plus tard, le Père Noël viennois est passé, et à défaut de dinde, les amuse-bouches balkans ont bel et bien été avalés, le saumon fumé finement apprécié, et les chocolats Mozart et autres gaufrettes Manner dûment engloutis. Après une mémorable messe de Noël, avec les petits chanteurs de Vienne à la chapelle d’Hofburg, me voilà à nouveau dans le hall du Leopold Museum où je pioche quelques flyers sur les expos en cours, et surtout celle qui m’a fait revenir cette année, Mélancolie et Provocation (le projet Egon Schiele).

Gustav Klimt

Je commence ma visite par les étages supérieurs, notamment le 4ème étage (Vienne 1900) où je retrouve les œuvres de Koloman Moser avec sa fameuse sélénographie, le mobilier et les fauteuils de Josef Hoffmann, les croûtes de Kokoschka, Schiele et ses maisons, Klimt et son Adam et Eve (Klimt, Klimt, Klimt… Des assiettes, des cartes à jouer, des étoles, des mugs à son effigie... Il est partout !!!). Je vagabonde parmi toutes ces œuvres, je me pose sur une banquette, tantôt à écouter du Mahler, tantôt à feuilleter le catalogue de l’expo. Ah décidément, je m’y sens bien… au Leopold Museum !

Vienne

Le Leopold Museum ouvre son sous-sol à Hermann Nitsch

Une heure plus tard, j'arrive au 2ème sous-sol (eh oui, j’ai décidé de terminer ma visite au premier sous-sol par l’exposition temporaire Mélancolie et Provocation, histoire de finir en beauté !). Personne à la sortie de l’ascenseur, pas même un gardien. Et me voilà qui pénètre dans l’antre de l’exposition consacrée à Hermann Nitsch.

Dans les sous-sols des musées viennois...

Rappelons en premier lieu que les sous-sols des musées viennois sont souvent des lieux de créations « débauchesques », dépravées, scabreuses, trash, parfois même insoutenables. Je me souviens l’an passé d'une exposition temporaire au 2ème sous-sol du MUMOK : des murs blancs tapissés de photos avec de jeunes hommes émasculés se balançant au bout d’une corde, d’autres pendus à des crochets par les testicules, d’une femme dénudée, emballée dans de la cellophane et couchée sur un porc à moitié égorgé, une autre encore, toujours nue et ensanglantée, se frottant à un homme gorille (ou bonobo ?). Je me rappelle mon fils de 4 ans errant dans les allées, sans trop regarder ces œuvres contestables et contestées, à rire et m’interpeller, avec toute la naïveté et l’innocence de son âge, à la vue d’une femme nue allongée par terre et qu’il croit réelle: « Maman qu’est-ce qu’elle a comme poils ! ». J’ai même cru qu’il allait toucher la toison foisonnante du mannequin de cire ! Dans un mouvement, une impulsion brusque, limite hystérique, je l’arrête dans son élan : « Touche pas, c’est de l’art ! ». Les écorchés de Larry Clark, à-côté, c’est le monde merveilleux de Oui-Oui !

Hermann Nitsch : un Père Noël rouge sang

Hermann NitschRevenons à Hermann Nitsch, actionniste viennois né en 1938 dont l’œuvre générale tourne autour de ce que l’on a appelé « l’esthétique de la souillure ». En d’autres termes, et pour résumer (et c’est volontairement simpliste), Hermann Nitsch, dont la bonhomie et la grande barbe font plus penser au Père Noël qu’à un metteur en scène gothique sataniste, organise des « performances » où il convie un certain nombre de figurants, totalement nus, qu’il met en scène dans son « Orgien Mysterien Theater ». Tel un gourou, il entraîne ses fidèles dans une forme de procession initiatique dont le rituel primaire consiste à se laisser attacher à une croix (chrétienne, bien sûr), à se faire asperger de sang de cochon par seaux entiers, le tout étant savamment orchestré, filmé et (ou) photographié sous tous les angles. Les corps se mêlent, s’emmêlent dans des bains de sang, de gadoue et de cadavres d’animaux. Les figurants jouent à se caresser avec des rognons de génisse ou des queues de taureaux (allusion bien flagrante) ; les animaux dépecés jonchent le bas-côté du chemin que le pèlerin (nu, bien entendu) arpente jusqu’à sa dernière demeure, une colline où une croix de 3 mètres de haut l’attend et sur laquelle il finira cloué, les entrailles d’un animal mort accrochées à ses parties génitales.
Quand on l’interroge sur ses performances, Nitsch répond « qu’il veut faire de l’art qui secoue les esprits et qui les réveille ». La question est récurrente, mais une fois de plus, je la pose : « Sommes-nous sans cesse obligés d’utiliser le trio trash-gore Sexe-Sang-Religion pour (r)éveiller les consciences ? ». 

Hermann Nitsch versus Curt Stenvert

Hermann Nitsch au Leopold MuseumCurt Stenvert (courant néo-dada pop, l’exposition qui lui était consacrée au Lower Belvédère de Vienne s’est achevée le 15 janvier dernier) a, semble-t-il, évité le piège, en dénonçant la barbarie nazie et ses atrocités, la nature inhumaine en générale, en réalisant une œuvre bien plus éclectique, fournie et complète, et tout aussi dénonciatrice.
Autant la démarche de Stenvert me semble louable, autant celle de Nitsch me paraît aussi  gratuite qu'inintéressante. Comment peut-on trouver, dans un amoncellement de corps nus pas franchement glamours, rampant dans une mixture de boue et de sang, et se caressant avec des organes et des viscères d’animaux morts, une quelconque forme d’art ? La représentation d'un corps pendouillant sur une croix avec une femme dévêtue à ses pieds, qui se lave les cheveux avec des boyaux de cochon, et se caresse l’intérieur des cuisses avec des abats de toute nature, a-t-elle une autre finalité que celle de choquer inutilement les sociétés protectrices d’animaux et les communautés religieuses ? Sous couvert et sous prétexte de liberté d’expression, peut-on faire n’importe quoi ? On sait bien que oui.

L'hommage du Leopold Museum à Egon Schiele

Je déguerpis (j’ai encore traîné mon fils dans une aventure culturelle inattendue !) en jetant quelques regards fugaces sur les dessins d’architecture plus sobres et bien moins accrocheurs que les photos gores des cérémonies du maître. Je remonte d'un niveau pour rejoindre l’exposition Mélancolie et Provocation consacrée à Egon Schiele, en espérant retrouver un peu de sérénité… Rien n’est moins sûr ! Schiele et ses déchirements, ses persécutions, ses obsessions. Une succession d’œuvres tourmentées, aux corps décharnés, torturés, déchirés, mêlés à des œuvres plus contemporaines de jeunes artistes autrichiens aux couleurs criardes et à connotation fortement sexuelle, à des scénographies artistico-intello-psychiatriques dont je ne suis pas certaine d'avoir saisi toute la subtilité...

Egon Schiele

Mon fils, quant à lui, a beaucoup aimé la salle verte qui m'a vaguement fait penser à une grande salle d’isolement, aseptisée, meublée d’un lit défait au dessus duquel est inscrit « OBSESSION » et de cabines en verre à l’intérieur desquelles on entend des voix s’exprimer en allemand. Concept linguistico-psychanalytique, je décroche. 

En images, l'exposition Mélancolie et Provocation consacrée à Egon Schiele :



Je quitte le Leopold Museum le cœur un peu lourd, et assez mal à l’aise tout de même (Ah mon fils !). Direction le café Schwarzenberg, une wurstel pour le petit et un apfelstrudel pour moi. Va falloir digérer tout ça maintenant… Et oui, c’est Noël !

Auteur : Karine Morel

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Informations pratiques du Leopold Museum :
Expositions temporaires :
Exposition Hermann Nitsch prolongée jusqu’au 9 avril 2012 (niv -2)
Exposition Mélancolie et Provocation prolongée jusqu'au 16 avril 2012 (niv -1)
Collection permanente :
Vienne 1900 (niv 4)
Collections permanentes (niv 3)

Mon espace conso
En anglais, la collection Schiele au Leopold Museum :
Egon Schiele: The Leopold Collection, Vienne, Rudolf Leopold, RMN ALBUMS HORS, Prestel, novembre 2009, 360 pages.
Voir tous les produits (Livres, Catalogues, etc.) autour d'Egon Schiele.
En allemand, le catalogue de l'exposition Hermann Nitsch au Leopold Museum :
Hermann Nitsch - Strukturen / Structures, Carl Aigner, Brandstätter Verlag, novembre 2011, 238 pages.
Voir tous les produits (Livres, Catalogues, etc.) autour d'Hermann Nitsch.
En anglais, un livre sur le Leopold Museum :
Leopold Museum: Museumsquartier, Austrian art, Egon Schiele, Oskar Kokoschka, Richard Gerstl, Rudolf Leopold, Wiener Secession, Frederic P. Miller, Agnes F. Vandome, John McBrewster, Alphascript Publishing, novembre 2010, 68 pages.
Voir tous les produits (Livres, Catalogues, etc.) autour du Leopold Museum.



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2 commentaires:

Olivier a dit…

Très belle exposition! Merci pour cette visite virtuelle :) Venez faire un tour au vernissage d'Olivier Gourvil chez Art Ensuite, jeudi 16 février à l'Hôtel Elysées mermoz pour découvrir un artiste émergent et un projet de mécénat initié par un passionné www.artensuite.com

Dylan a dit…

Attention, la démarche de Nitsch est loin d'être insipide et sans intérêts. C'est une des plus riches de son siècle, c'est un très grand théoricien, seulement, il faut faire l'effort de s'y intéresser. Il a fait des études de théologie par exemple et nul n'est allé aussi loin dans l'intensité, et j'en passe... Mais bien sûr, l'Art est Art sous couvert qu'il s'adresse à des personnes ouvertes d'esprits.

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