lundi 20 février 2012

Interview de Carole Zalberg : l'émotion à fleur de peau

Interview de Carole Zalberg : l'émotion à fleur de peauA l'occasion de la sortie de son nouveau roman A défaut d'Amérique, Carole Zalberg revient sur la rédaction de son livre, une « période de tension et de jouissance », nous parle de son adaptation au cinéma, mais aussi de fantômes et du poids du passé, d'apnée et d’épopée, de femmes et de fibre maternelle, d’intolérance et d'injustice, d'élan vital et de désarroi. Interview de Carole Zalberg, une jeune romancière à découvrir absolument.


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Bonus : à laquelle « Si ce livre contenait un message, ce serait ? », Carole Zalberg répond :
Il ne m’appartient pas de le dire. J’en suis incapable de toute façon.

Interview de Carole Zalberg, à propos d'A défaut d'Amérique

« A défaut d’Amérique, on l’invente, on maintient vivante l’Amérique – le rêve, l’espoir – en soi. »

En quelques mots, de quoi parle votre dernier roman A défaut d'Amérique ?
Il s’agit des trajectoires de femmes dont le destin est lié de façon plus ou moins ténue, plus ou moins consciente. Ces trajectoires et leurs ramifications nous mènent de la Pologne dans les années 1910 à l’Afrique du Sud aujourd’hui en passant par la France et les États-Unis. Au commencement, il y a Adèle, petite fille juive de Varsovie censée gagner l’Amérique. Or c’est finalement dans une France en liesse, le jour de l’Armistice, qu’elle et sa mère rejoignent Szmul, le père parti des mois plus tôt. L’Amérique demeurera, tout au long de l’existence d’Adèle, le lieu du rêve et de l’évasion, l’espace fantasmé d’une autre vie possible et, en quelque sorte, l’un des fantômes qui, dans ce roman, sont aussi présents que les vivants.

Parlez-nous du titre, « A défaut d'Amérique »...
Il dit à la fois ce rendez-vous manqué avec une Amérique mythique et l’incroyable force d’adaptation des exilés. A défaut d’Amérique, on l’invente, on maintient vivante l’Amérique – le rêve, l’espoir – en soi.

Comment ce roman s'inscrit-il dans l'ensemble de votre œuvre ?
Il est le troisième volet d’une trilogie, La Trilogie des Tombeaux, démarrée avec La Mère horizontale et poursuivie avec Et qu’on m’emporte. Cet ensemble remonte l’histoire de trois générations de femmes, souvent frappées par le destin mais résistantes, à leur manière. Aucune n’est une héroïne à proprement parler, mais toutes développent une forme de puissance et de rayonnement qui illumine et parfois aveugle leur entourage. Chacun de ces trois volets peut se lire de façon indépendante et dans l’ordre qu’on veut.

Le continent américain vu de nuit

Une partie de l'intrigue se déroule en Amérique; quels liens vous unissent à ce pays ?
Des liens qui passent essentiellement par la littérature, le cinéma mais qui prennent aussi racine dans l’histoire de ma propre famille et ses rêves de réinvention.

Interview de Carole Zalberg : la genèse d'une épopée

« Je me suis souvent sentie en apnée mais toujours dans le plaisir d’être habitée, portée par des personnages et un mouvement. »

Quelles ont été vos influences littéraires pour la rédaction de votre dernier roman A défaut d'Amérique  ?
Aucune directe. J’ai cependant été inspirée par le souffle et la précision de Naissance d’un pont de Maylis de Kerangal. Ce que je veux dire, c’est que j’ai lu ce roman magnifique alors que j’étais au beau milieu de la rédaction du mien et que ce qu’elle a réussi à faire : raconter une sorte d’épopée sans jamais rien céder sur la phrase, sur le mot, m’a tenu compagnie, a été comme une force bienveillante pour la suite de l’écriture d’A défaut d’Amérique.

Comment avez-vous vécu la période de rédaction ?
C’était une période de tension et de jouissance. Ce roman était plus long, sa narration plus déployée que mes précédents, mais je ne voulais surtout pas « lâcher » ma phrase pour autant. Je me suis souvent sentie en apnée mais toujours dans le plaisir d’être habitée, portée par des personnages et un mouvement.

Carole Zalberg

Quel est le passage qui, pour vous, a été le plus difficile à écrire ?
Sans doute celui de la déportation de Kreindla. A la fois parce qu’on a tant écrit sur le sujet et parce qu’on ne se fait jamais, et encore moins au moment où on l’empoigne, où on l’évoque, à une telle horreur. Il faut alors écrire avec ce sentiment et c’est très difficile.

Quelles émotions avez-vous ressenties en écrivant ce roman ?
Sur le moment, je l’ai dit, de la tension et de l’urgence. A la fin de l’apaisement.

Interview de Carole Zalberg : sous les feux de l'Histoire

« Je pense qu’avec le temps, il y a comme une dilution, une usure des peurs, des souffrances. Sinon, toutes les familles finiraient par s’éteindre, écrasées sous le poids du passé. »

Si vous deviez prendre un trait de caractère à chacun de vos personnages pour vous décrire vous-même, ce serait ?
Je pense avoir la ténacité d’Adèle et la fibre profondément maternelle de Fleur, les doutes et les inquiétudes de Suzan, le désarroi de Szmul, la sensibilité physique à l’injustice de Sophia, mais au final, je suis beaucoup plus banale qu’eux, et sûrement moins courageuse.

Vous sentez-vous particulièrement proche de l'un des personnages de votre dernier roman A défaut d'Amérique  ?
Non, je fais corps avec chacun d’eux. Je ne peux écrire autrement.

Les guerres, à intervalle régulier, viennent bouleverser la vie de vos personnages (la première, la seconde, la guerre d'Algérie). Comment trouvent-ils la force de survivre à toutes ces « atrocités » ?
Je crois que c’est le cas de tous ceux qui les ont traversées, ces guerres successives. Il n’y a pas d’entre-deux. Soit on décide plus ou moins consciemment qu’après ça, la vie n’a aucun sens et on s’avance vers la mort (même si cela peut prendre des années) soit c’est l’élan vital qui domine, qui est renforcé par chaque épreuve. Alors on se découvre des ressource infinies.

Oranienburg, camp de concentration

Les peines, les blessures qui touchent une famille, à votre avis, se transmettent-elles de génération en génération ?
J’en suis convaincue. C’est comme pour un organisme, ça ne peut pas disparaître purement et simplement. Mais les douleurs se transforment, produisent des effets différents et parfois difficiles à identifier. Cela dit, je pense qu’avec le temps, il y a comme une dilution, une usure des peurs, des souffrances. Sinon, toutes les familles finiraient par s’éteindre, écrasées sous le poids du passé.

Interview de Carole Zalberg, un livre d'actualité

« J’ai été confrontée assez régulièrement à des formes diverses d’antisémitisme. Et là encore, c’est un traumatisme qui est inscrit dans mes cellules. »

Vos personnages subissent aussi l'antisémitisme. Comment êtes-vous parvenue à vous mettre dans leur peau, pour décrire ainsi leur souffrance et leur incroyable courage ?
Ça a été la partie la plus facile, puisque je suis moi-même juive de culture, d’origine, de racines si ce n’est de religion. J’ai donc été confrontée assez régulièrement à des formes diverses d’antisémitisme. Et là encore, c’est un traumatisme qui est inscrit dans mes cellules. Je suis faite (aussi) de ce danger, de cette injustice, de cette humiliation.

Que pensez-vous de l'antisémitisme aujourd'hui ?
Il est hélas bien réel et, me semble-t-il, de plus en plus décomplexé. Pour autant, je n’ai pas le sentiment, en vivant en France, d’y être plus exposée qu’ailleurs. Je ne suis pas très optimiste, je crois que l’antisémitisme, comme le racisme et toutes les formes d’intolérance, ne disparaîtront jamais. Ces haines sont l’expression d’une peur, le premier réflexe, très humain, de la détresse. Bien sûr, l’éducation a un grand rôle à jouer pour que cela ne prenne pas des proportions dangereuses. Mais je ne suis pas sûre qu’on ait trouvé, dans nos écoles, à quelques louables exceptions près, comment lutter efficacement contre cette tendance toujours plus lourde en temps de crise.

Si vous pouviez gommer définitivement l'un des défauts de la nature humaine, ce serait ?
Celui-là, justement, ce réflexe de peur qui pousse à rejeter l’autre.

A défaut d'Amérique va être adapté au cinéma ; pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
J’ai travaillé ces dernières années avec la productrice Alexandra Lederman à un scénario qui devrait être tourné bientôt. Quand elle a lu A défaut d’Amérique, sur manuscrit, elle a tout de suite souhaité en produire l’adaptation. Elle a donc acheté les droits et je vais m’atteler au scénario dans les mois qui viennent.

Carole Zalberg, A défaut d'Amérique

Vos projets ?
J’ai un nouveau roman en route. Je publie un court récit chez Naïve en avril : L’illégitime, avec des dessins de Denis Deprez, dans la collection Livre d’heures dirigée par Jean Rouaud. J’aimerais aussi porter L’invention du désir à la scène, dans l’idéal en collaboration avec un chorégraphe.

Interview réalisée le 12 février 2012  par Cécile Duclos


A défaut d’Amérique, Carole Zalberg, Actes Sud, 8 février 2012.

Retrouvez Carole Zalberg sur le web : sur wikipedia, et sur son site officiel.

Bibliographie de Carole Zalberg :
Léa et les Voix, Nicolas Philippe/L’embarcadère, 2002
Les Mémoires d'un arbre, Le cherche midi éditeur, 2002
Chez eux, Phébus, 2004
Mort et Vie de Lili Riviera, Phébus, 2005.
La mère horizontale, Albin Michel, 2008.
Et qu'on m'emporte, Albin Michel, 2009
A défaut d’Amérique, Actes Sud, 2012


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Le dernier roman de Carole Zalberg :
A défaut d'Amérique, Carole Zalberg, Actes Sud, 8 février 2012.
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