vendredi 9 mars 2012

En secret, un film coup de cœur

En secret, un film coup de cœurEn secret fait partie de ces films indépendants qui vous scient les jambes après vous avoir plantés au fin fond d'un fauteuil défoncé de cinéma de quartier. Bouleversant, cruel et terriblement romantique, réaliste et poétique, d'une audace admirable et d'une extrême sensibilité, ce long métrage iranien réalisé, écrit et dirigé par une femme, Maryam Keshavarz, est porté par deux jolies actrices au talent indéniable, Sarah Kazemy et Nikohl Boosheri. A Téhéran où la jeunesse iranienne est tiraillée entre pulsion de vie et rigueur islamiste, une jeune fille tombe amoureuse de sa meilleure amie. Acte impardonnable dans une société soumise à la domination masculine, affront insensé à un intégrisme religieux en plein essor, leur amour, oh combien transgressif !, les enchaîne un peu plus à la clandestinité, comme le souligne Maryam Keshavarz :
« En raison de ces règles sociales particulièrement strictes, les comportements se modifient selon les environnements et cette attirance qu'elles éprouvent soudainement vient rompre la liberté qui était la leur lorsqu'elles étaient seules dans l'intimité de leur chambre. ».
En secret, un film coup de cœur.

Pour ouvrir la boîte de Pandore, c'est ici...
Bonus : A la question « Vous n'avez pas pu tourner en Iran…? », Maryam Keshavarz répond :
« Non, malheureusement. Je voulais rester dans un environnement proche, un pays du Moyen-Orient et nous avons pu tourner au Liban. C'est un pays qui a été frappé par la guerre, un pays reconstruit, plus ouvert, plus libéral, mais également géré par des lois très strictes. Il nous a notamment fallu contourner la censure en modifiant légèrement le scénario, en coupant certains passages. ».

En secret, un film au scénario audacieux

« L'approche esthétique m'apparaît fondamentale, elle ancre l'histoire au cœur d'une ambiance particulière. » (Maryam Keshavarz)

Passionnante immersion au cœur de la jeunesse iranienne, En secret lève le voile sur une génération écartelée, partagée entre la montée de l'intégrisme religieux et les réjouissances tapageuses du libéralisme. A Téhéran, Atafeh (Nikohl Boosheri) et Shirin (Sarah Kazemy), deux amies de seize ans, mènent une double vie : élèves voilées le jour (sous les objectifs des caméras-espions d'une ville sous surveillance), jeunes femmes libérées la nuit, elles n'hésitent pas à braver les interdits d'un régime patriarcal et tyrannique pour quelques heures de bonheur (danser, boire, s'amuser avec les garçons, rigoler...) :
« Il est, par exemple, facile de se rendre à une fête aux États-Unis ou en France, et c'est d'une banalité quasiment quotidienne, alors que, pour les iraniens, c'est une aventure périlleuse. Il faut avoir des relations, faire partie de cercles fermés pour pouvoir participer à certaines soirées, sachant qu'y participer présente un risque. » (Maryam Keshavarz).
Jusqu'au jour où Shirin prend la main d'Atafeh, puis sa bouche, son corps... Amour condamné, transgression ultime. Pensant être à l'abri des regards, Shirin et Atafeh donnent libre cours à leur amour. Dubaï devient leur rêve : Hollywood oriental, eldorado tape-à-l'œil, symbole de richesse et de réussite... Elles en oublient qu'à Dubaï, c'est la peine de mort que l'on réserve aux homosexuels.

En secret, Shirin et Atafeh

Sans issue, leur passion vire au drame lorsque Mehran, le frère d’Atafeh, s’amourache de Shirin. Né dans une famille libérale, drogué repenti, Mehran trouve dans l'islamisme radical un second souffle, une autre vie. Membre de la police des mœurs, il ne reculera devant rien pour atteindre son but, posséder l'amante de sa sœur. Face à la dualité de ce personnage à la fois faible et puissant, doux et violent, croyant et intolérant, on glisse progressivement dans l'intégrisme religieux le plus effrayant. 
Des fêtes branchées clandestines de la capitale iranienne où le voile tombe sous l'effet conjugué de la musique, de l'alcool et de la drogue, aux mosquées de quartier dont l'influence ne cesse de croître, En secret démantèle d'un coup de caméra sans concession, à la fois sensible et incroyablement courageux, une société au bord de l’explosion. Répression, misogynie, violence conjugale, homophobie, intégrisme religieux, addiction à la drogue (Maryam Keshavarz : « Beaucoup d'hommes prennent de l'héroïne et les autorités se montrent plus clémentes envers une personne qui se promène avec de l'héroïne qu'avec une personne ayant sur elle une bouteille de vin. »), trahison, injustice, pression psychologique..., rien n'échappe à l’œil avisé de Maryam Keshavarz. D'un esthétisme remarquable, les images nous retournent l'estomac en nous laminant les yeux, quand elles ne nous plongent pas dans un profond malaise... Lorsque l'on rit, c'est nerveusement, comme on avalerait une grosse bouffée d'oxygène entre deux plongeons. La bande-originale – mélange de hip-hop et de musique traditionnelle – accompagne à merveille la succession de plans, extraits de vie distillés d'une main de maître. Et c'est sens dessus-dessous que l'on ressort du cinéma, avec en tête, une seule pensée : quelle chance on a, de vivre dans un pays comme la France !
Nommé dans plusieurs festivals internationaux, En secret a reçu de nombreux prix, dont le Prix du Public - Films de fiction au Festival Sundance Film 2011 et le Prix du meilleur talent émergent au Festival International du Film de Rome, décernés à la réalisatrice Maryam Keshavarz, ainsi que le Prix d'interprétation au Festival de films Chéries-Chéris 2011 pour les deux actrices principales, Nikohl Boosheri et Sarah Kazemy.

En images, la bande annonce d'En Secret, un film réalisé par Maryam Keshavarz :


En secret, un film engagé, formidable hymne à la liberté

« Il n'est jamais facile de réaliser un film sous surveillance, sachant par exemple que l'homosexualité n'est pas tolérée au Liban. »
(Maryam Keshavarz)

Après plusieurs courts métrages (El día que morí gagne le prix Teddy au Festival international du film de Berlin) et documentaires (dont Les Couleurs de l'amour), Maryam Keshavarz jette un énorme pavé dans la mare avec son premier long métrage En secret, un film magistral et courageux. D'origine américano-iranienne, la jeune réalisatrice fait preuve d'une admirable liberté artistique en mettant en scène les ravages de l'islamisme, les amours interdites de deux jeunes filles et les effets dévastateurs de la drogue sur un peuple opprimé. Avec sang froid, Maryam Keshavarz raconte comment elle s'est préparée à un tournage pour le moins périlleux :
« (...) j'ai passé six mois au Liban pour trouver les bonnes personnes. Si nous rencontrions le moindre problème de production, c'était la fin du film. Ceux que j'ai choisis ont mis leur nom, leur carrière, parfois leur vie en danger pour faire ce film. ».
C'est aussi pour cette raison que ses actrices principales, toutes deux d'origine iranienne, vivent à l'étranger : Sarah Kazemy est franco-algérienne et Nikohl Boosheri, canadienne. Lors d'une interview pour Studio Ciné Live, Maryam Keshavarz rapporte la réaction du pouvoir politique en place :
« En tournant ce film, mes actrices et moi-même savions à quoi nous nous exposions: un bannissement de l'Iran. Et cela s'est confirmé très vite. Trente six heures après la projection du film à Sundance, le pouvoir iranien me montrait du doigt pour encourager la jeunesse à se dévoyer sexuellement, socialement et politiquement. Et pour cela, ils ont monté image par image des interviews que j'avais données au festival de Sundance où ils parviennent à me faire dire des horreurs... alors que je n'ai jamais la même tenue au fil des mots que je prononce... C'est tout aussi grotesque que pathétique ! » (interview publiée sur le site de l'Express).

En secret, le film

Quant au choix de la musique, il ne doit rien au hasard ; mêler chants traditionnels iranien et hip-hop revient, une fois de plus, à dénoncer les atteintes à la liberté dans un pays où écouter de la musique pop signifie enfreindre la loi :
« Durant la guerre, nous chantions souvent des chansons, de la pop. La musique est une forme de libération. Je me souviens que j'avais trouvé une cassette d'une chanteuse iranienne qui vivait aux États-Unis, j'avais réussi à la rapporter en Iran et l'un de mes cousins a d'ailleurs rencontré quelques ennuis lors d'une arrestation par les forces de police parce qu'il possédait cette fameuse cassette. La musique pop était interdite. (…) On ne peut toujours pas aller dans un magasin pour acheter un CD de Mickael Jackson, il faut passer par le marché au noir (...) » (Maryam Keshavarz).
Projet particulièrement risqué, donc, pour Maryam Keshavarz comme pour ses proches :
« Quant à ma famille, j'essaie de les tenir le moins au courant possible de ce que je fais, de me déconnecter d'eux pour les protéger au maximum. ». 
Et si la jeune femme se défend d'agir pour des raisons politiques, elle n'en délivre pas moins un magnifique message d'espoir :
« J'essaie de comprendre, de raconter une histoire qui me passionne, d'évoquer une réalité qui m'interpelle, mais je ne le fais pas pour des raisons politiques. Ma motivation reste beaucoup plus humaine. En tant qu'artiste, cela me réconforte de penser que ma voix, mon film permettront peut-être à certains d'évoluer, comme beaucoup de films m'ont apporté et nourri personnellement. ».

Auteur : Cécile Duclos

La fiche du film En secret :
Genre : Drame américano-iranien.
Titre original : Circumstance
Sortie en France : le 8 février 2012
Durée :  1h 45min
Réalisation, direction et scénario : Maryam Keshavarz
Acteurs : Nikohl Boosheri (Atefeh Hakimi), Sarah Kazemy (Shirin Arshadi), Reza Sixo Safai (Mehran Hakimi), Soheil Parsa (Firouz Hakimi), Nasrin Pakkho (Azar Hakimi), Sina Amedson (Hossein), Keon Mohaje (Joey)

Mon espace conso
La Bande Originale du film En secret :
En Secret (Bof), [Bande Originale], Mlm, 27 février 2012.
Voir tous les produits (CD, DVD, collectors...) autour du film En secret



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