lundi 12 mars 2012

La fin du monde en 2012 ? Interview de Stéphanie Hochet

La fin du monde en 2012 ? Interview de Stéphanie HochetLa fin du monde en 2012, les mayas l'ont annoncée ; il ne nous resterait que quelques jours, semaines ou mois à vivre... Dans son dernier roman, Les Éphémérides, Stéphanie Hochet aborde à sa façon, à la fois violente et poétique, l'Apocalypse aux sept trompettes qui hante depuis des millénaires l'imaginaire collectif et individuel, qui nourrit l'art, les croyances, nos peurs ancestrales et nos pires cauchemars. Parmi les passagers de ce naufrage annoncé : la maîtresse femme d'une maison close façon One Eyed Jacks, qui aurait fait le bonheur de Lynch ; une mystérieuse Africaine, mi-princesse mi-déesse ; un artiste peintre qui tend les sourires jusqu'au cri ; des chiens mutants élevés par un couple de lesbiennes rebelles ; une enfant mi-ange mi-démon... Autant d'âmes et de corps qui se débattent aux portes de l'inconnu, dans un chaos sans précédent provoqué par une subite « Annonce ». Poignant, troublant, provoquant, Les Éphémérides nous embarque dans un passionnant voyage spatio-temporel à la H.G. Wells, au terminus aussi incertain qu'exaltant. A lire, dévorer, imaginer, écouter, regarder ; dans sa tête et on l'espère très bientôt sur grand écran ! Entretien avec Stéphanie Hochet, un « écrivain péripatéticien » dont les conquêtes littéraires ne connaissent pas de limite.

A lire : Stéphanie Hochet, Les Éphémérides

Pour ouvrir la boîte de Pandore, c'est ici...
Bonus : Dans le film Melancholia de Lars von Trier, le monde est également sur le point de disparaître... En voici la bande annonce :


La fin du monde... en 2012 ? Les Éphémérides et l'équinoxe de printemps

« Je suis un écrivain péripatéticien. »

Comment votre dernier roman, Les Éphémérides, s’inscrit-il dans l'ensemble de votre œuvre ?
C’est un livre différent des précédents ; l’obsession de ce livre, c’est  la temporalité. Il s'agit d'un texte sur le temps, l’urgence, le destin qui nous est imposé mais qu’on peut aussi manipuler ; sur l’hérédité également. Dans Combat de l’amour et de la faim, je me suis lancée à la conquête du Sud des États-Unis dans les années de ségrégation, alors que La distribution des lumières se déroule en partie du moins dans l’Italie contemporaine (avec une incursion dans une Italie mythique, nostalgique). Les Éphémérides se situe encore ailleurs, en Grande-Bretagne, un peu en France. C’est la suite du voyage, une nouvelle délocalisation qui n’est pas gratuite.
Comment avez-vous trouvé le titre,  « Les Éphémérides » ?
En marchant, comment souvent. Je suis un écrivain péripatéticien.

Stéphanie Hochet, (c) Fred Postel

En quelques mots, de quoi parle votre dernier roman Les Éphémérides
Dans un futur proche, une mystérieuse « Annonce » met tout le monde à cran, crée un climat insurrectionnel. Persuadés qu’une catastrophe va arriver, les gens attendent anxieusement les quelques mois qui les séparent de la fameuse date du 21 mars.
Il y a d’abord Tara qui travaille dans une maison close, dans un quartier riche de Glasgow, en Écosse. Elle va renouer avec Alice, une jeune Française, dont elle est tombée amoureuse trois ans auparavant et qu’elle avait oubliée, le temps passant. Tara partage sa vie avec une autre femme, Patty. Elles vivent dans une ferme et s’occupent d’un élevage de chiens assez particulier. Ces bêtes n’ont en fait plus grand chose à voir avec les animaux domestiques qu’on connaît…
L’« Annonce » a des implications ailleurs qu’en Écosse : à Londres, le peintre Simon Black, naguère proche de Tara, fête les événements en compagnie de son amante Ecuador. Il est enfin débarrassé de la peur de mourir d’un cancer, son destin si l’Annonce n’avait pas eu lieu. Simon et Ecuador vont se rendre en Écosse, et ils ne seront pas les seuls puisqu'une certaine Ludivine (9 ans) les aura précédés. Tous ces personnages unis par un destin commun vont vivre 3 mois de façon imprévisible et révéler des aspects d’eux-mêmes qu’on ne soupçonnait pas.
Vous et l’Écosse ?
Quand j’avais 22 ans, j’ai enseigné le français au lycée à Glasgow. Pendant un an, j’ai voyagé dans le Nord sauvage. J'ai déménagé trois fois, j'ai rencontré beaucoup de gens, j'ai fréquenté toutes sortes de milieux, des marginaux, des travailleuses du sexe, etc. Cette région m’a tellement marquée qu'à cette époque, j’ai pensé rester y vivre.

De ceux qui vivront la fin du monde : en 2012, sortie des Éphémérides de Stéphanie Hochet

« J'ai donné à Simon Black, le peintre, mes obsessions, mes terreurs, mon aspiration à l’absolu. »

Parlez-nous du choix des noms des personnages...
Ecuador est clairement une allusion au titre d’un livre très poétique d’Henri Michaux. Un texte dans lequel il parle de cet étrange pays qu’est l’Équateur, un livre sur la mer, le voyage, les perceptions qui s’y attachent.
Simon Black est une invention, le nom qui convenait au personnage du peintre dans mon livre. Il fallait évoquer Francis Bacon et Lucian Freud mais les évoquer seulement car le personnage de Simon Black a sa propre singularité, son obsession c’est le corps, sa représentation, sa souffrance, il cherche à saisir l’essence du cri humain.
Tara a une sonorité féminine mais aussi rude qui convient au personnage. Alice est un personnage émerveillé ; évidemment, on voit l’allusion au chef-d’œuvre littéraire pour enfants [NDLR : Alice au pays des merveilles].
Comment décririez-vous Tara ?
Stéphanie HochetC’est un personnage nietzschéen. A la fois en couple avec Patty et amoureuse d’Alice, elle choisit les deux. Sa grande passion : son élevage de chiens dont on découvre peu à peu la dangerosité. C’est une femme à fort tempérament qui met cet aspect d’elle-même à contribution dans son travail au sein d’une maison close…
Le couple Tara-Patty est étonnamment crédible et pourtant il ne ressemble pas à un couple classique. Pouvez-vous expliquer son fonctionnement ?
C’est un couple durable, construit sur la complicité et l’amour des animaux (elles élèvent ensemble une espèce dérivée du chien appelée Dogs dans le livre). Chacune fait des concessions à l’autre : Tara accepte que Patty chasse à courre, Patty tolère la liaison de Tara avec Alice… C’est ainsi que le couple devient un ménage à trois.
Dans quel personnage vous reconnaissez-vous le plus ?
Simon Black, le peintre. Je lui ai donné mes obsessions, mes terreurs, mon aspiration à l’absolu.

L'art et Les Éphémérides de Stéphanie Hochet

« Ce sont les hommes qui ont créé autant de races différentes de chiens, pas la nature. Nous avons une longue histoire en commun avec cet animal, une histoire qui n’est pas finie et pourrait bien tourner comme je la décris dans le livre… »

L’art pictural et Les Éphémérides ?
Les Éphémérides est un livre visionnaire (dans un sens très pictural). L’un des personnages principaux est un peintre, je voulais que le lecteur ait accès à ses représentations, qu’il entre dans ses fantasmes sur la distorsion du corps. Il peut rappeler Francis Bacon et Lucian Freud, mais je songe parfois aux œuvres d’Egon Schiele pour représenter les personnages des Éphémérides dans leurs expressions intenses et nerveuses.

Egon Schiele

Idéalement, quel cinéaste capterait le mieux l’ambiance des Éphémérides ?
David Lynch. Vous avez son téléphone ? (rires)
Les Éphémérides est un livre est polyphonique comme l’étaient Les Vagues de Virginia Woolf. Est-ce un hasard ?
Il n’y a pas de hasard, surtout pas en littérature. Le texte contient des thèmes woolfiens : l’obsession du temps, la polyphonie, etc. Et puis, Les Vagues devaient s’appeler dans un premier temps : Les Éphémères
Parlant de voix : jamais vous n’aviez attrapé à ce point la voix d’un de vos personnages que celle de Tara. On croirait l’entendre. Ce personnage qui n’existe que par sa voix existe incroyable fort. Comment êtes-vous parvenue à un tel résultat ?
J’ai connu la personne qui m’a inspiré le personnage de Tara. Je n’ai rien changé à sa personnalité, sa façon de vivre, de gagner sa vie, etc. Bien sûr, il a fallu lui trouver une voix intérieure, populaire mais subtile, une voix qui lui ressemble, celle d’une femme à la fois sympathique mais aussi par certains côtés monstrueuse.
Il a souvent été question de chiens dans la littérature. Dans votre dernier roman, Les Éphémérides, ces animaux sont particulièrement importants. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Compte tenu de la société dont je parle, une société qui s’autodétruit et vit dans la peur, on ne peut s’empêcher de penser à l'étymologie du mot cynisme qui est « chien ». Il existe un grand plaisir chez l'être humain à manipuler l'animal. Or, avec le chien, cela se fait particulièrement. On se rappelle Chien Blanc de Romain Gary (l’histoire d’un chien dressé pour s’attaquer exclusivement aux hommes noirs). Ce sont les hommes qui ont créé autant de races différentes de chiens, pas la nature. Nous avons une longue histoire en commun avec cet animal, une histoire qui n’est pas finie et pourrait bien tourner comme je la décris dans le livre…

Interview réalisée par Cécile Duclos le 24 février 2012

Les Éphémérides, Stéphanie Hochet, Rivages, sortie prévue le 7 mars 2012

Retrouvez Stéphanie Hochet sur le web : sur son blog officiel et sur Wikipedia.

Bibliographie de Stéphanie Hochet :
Moutarde douce, éditions Robert Laffont, 2001
Le Néant de Léon, éditions Stock, 2003
L'Apocalypse selon Embrun, éditions Stock, 2004
Les Infernales, éditions Stock, 2005
Je ne connais pas ma force, éditions Fayard, 2007
Combat de l'amour et de la faim, éditions Fayard, 2009 (Prix Lilas)
La distribution des lumières, Flammarion, 2010 (Prix Thyde Monnier de la Société des Gens de Lettres)
Les Éphémérides, Rivages, 2012

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Le dernier roman de Stéphanie Hochet
Les Éphémérides, Stéphanie Hochet, Rivages, 7 mars 2012.
Voir tous les livres de Stéphanie Hochet



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