mardi 3 avril 2012

Le film Les Adieux à la Reine

Vous ne pouvez plus voir la Révolution française, même en peinture ? Les frasques de Marie-Antoinette vous laissent de marbre (une petite robe par-ci, un coquet Suédois par-là) ? Les histoires de têtes coupées vous filent les jetons ? Taillé sur mesure, le dernier film de Benoît Jacquot (La Fille seule, Sade, Adolphe...), Les Adieux à la Reine, vous réconciliera à coup sûr avec cette période sombre de notre histoire. Sorti en salles le 15 mars 2012 après avoir fait l'ouverture de la Berlinale 2012, ce long métrage surprenant juxtapose avec succès l'effervescence de la prise de la Bastille aux amours croisées et contrariées de trois jolies jeunes femmes : une domestique (Léa Seydoux), une duchesse (Virginie Ledoyen) et... une Reine (Diane Kruger). Coup de projecteurs sur la Bastille des nobles, Versailles !

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Bonus : A propos du film Les Adieux à la Reine, à la remarque « Vous avez beaucoup tourné au château de Versailles. C’est le cas de très peu de films. », Benoît Jacquot répond :
On y a tourné autant qu’on pouvait, c’est-à-dire tous les lundis et les nuits. L’institution Versailles s’est montrée très accueillante et nous a facilité les choses autant qu’il était possible. Si peu de productions se risquent à Versailles, c’est que cela coûte très cher, c’est donc très dissuasif. Il faut vraiment décider, comme c’est le cas ici, que Versailles est un personnage principal. Cela dit, on a tourné dans d’autres châteaux et c’est d’ailleurs très amusant de recomposer les lieux où ont été tournées chacune des scènes, celles du Versailles réel et celles du Versailles d’emprunt.

La Révolution française en ligne de mire du film Les Adieux à la Reine

« On peut imaginer que la prise de la Bastille a frappé les esprits de l’époque aussi soudainement et violemment que le 11 septembre à New York a perturbé l’équilibre du monde. » (Jean-Pierre Guérin, producteur)

14 juillet 1789 : pendant que la Bastille, réputée imprenable, tombe aux mains du peuple parisien, à Versailles, c'est un jour comme les autres. Au Petit Trianon, la Reine réfléchit à sa future garde-robe pendant que sa lectrice, Sidonie Laborde, joue avec elle une pièce de Marivaux. Au château, la cour se presse dans la Galerie d’Apollon, et s'ébat dans les jardins verdoyants. Dans les cuisines, les prêtres festoient avec les domestiques, femmes de chambre et valets. Légèreté, frivolité, indifférence, insouciance... Ici, on ne manque ni de pain ni de vin. Dehors, on s'étripe pour une miche rassie.

Les Adieux à la Reine, (c) Carole Bethuel

Quand l'incroyable nouvelle arrive enfin à Versailles (« la Bastille a été prise ! »), on frémit. On s'étonne. On s'agite. Puis on prend peur. Les rumeurs courent de couloirs en antichambres, de salons en dépendances. L'angoisse, palpable, prend possession du château, se répand, enfle, jusqu'à éclater en une véritable vague de terreur : la noblesse panique. On colporte, on s'évanouit, on fuit, on se suicide. L'affolement général gagne les appartements de la Reine, qui s'empresse de préparer son départ. Seul Louis XVI, qui paraît hermétique à l'agitation générale, décide, stoïque et désabusé, de faire un saut à Paris sous escorte réduite pour défendre sa couronne. Et tandis que la liste des centaines de têtes à couper terrorise l'entourage de la famille royale, une seule personne semble entièrement dévouée à la Reine, sa jeune et jolie lectrice.
Car Sidonie n'est pas seulement au service de Marie-Antoinette ; elle en est aussi follement amoureuse. Jusqu'où ira son amour ? Madame de Polignac ; avant la duchesse, la Princesse de Lamballe... Autant de femmes dans la vie (le lit ?) de sa maîtresse ; autant de raisons d'espérer et de souffrir en silence.

En images, la bande annonce du film Les Adieux à la Reine :


Construit sur une courte durée (trois jours), le film Les Adieux à la Reine embarque le spectateur dans la tourmente de la Révolution sans l'étouffer dans les méandres de l'Histoire. Vécus par la lectrice de la Reine, de l'intérieur de Versailles mais de l'extérieur de la cour, les événements prennent une toute autre dimension. Et ce point de vue original est sans contexte l'un des points forts de ce huis clos au Château de Versailles, librement adapté du roman Les Adieux à la Reine de Chantal Thomas, romancière et universitaire française, spécialiste du XVIIIème siècle (en 2002, Chantal Thomas remporte le Prix Femina avec son livre éponyme).

Dans le film Les Adieux à la Reine, l'amour se conjugue au féminin

« Sidonie est une groupie amoureuse qui ne vit que par procuration. Un amoureux, disait Roland Barthes, « c’est quelqu’un qui attend ». Et Sidonie attend que la Reine lui fasse signe. Il y a forcément une charge érotique dans ces moments d’intimité où elle se retrouve enfin seule avec son adorée. » (Gilles Taurand, scénariste)

Si le penchant de Marie-Antoinette pour les jeunes nobles (Sofia Coppola n'avait pas manqué d'aborder le sujet dans son long métrage Marie-Antoinette) n'est un mystère pour personne, ses amours au féminin (« amitiés », rectifient certains) sont bien moins connues du grand public. Et pourtant ! Elle ne cachait guère ses sentiments pour la duchesse de Polignac qui supplanta, dans son cœur, la Princesse de Lamballe. En introduisant le personnage fictif de Sidonie, à la fois témoin et partie prenante des amours saphiques de sa maîtresse, le film Les Adieux à la Reine aborde un point sensible (et particulièrement controversé !) de l'histoire de Marie-Antoinette : Marie-Antoinette, bisexuelle ? Pire, lesbienne ? Impossible ! Vraiment ?... Loin des querelles d'historiens, c'est avec une finesse remarquable que Benoît Jacquot filme ce triangle amoureux placé sous le signe de Vénus :
« Sidonie est littéralement folle de sa Reine ! Et cela m’intéressait beaucoup, qu’en regard de l’espèce de passion enfantine qu’elle éprouve pour Marie-Antoinette, il y ait une passion de type plus « pervers » entre la Reine et la Polignac. Cette triangulation électrise le film. »
A l'affût du moindre geste, du moindre regard, de la moindre parole de la Reine dont elle rêve de partager bien plus que d'innocentes lectures, Sidonie vit ses premiers émois amoureux dans l'attente, la frustration mais aussi l'émerveillement. Car lorsque Marie-Antoinette ne souffre pas du peu d'attention que lui porte la belle et incontrôlable duchesse de Polignac, elle se délecte sans retenue des nombreux atouts de sa jolie lectrice. Benoît Jacquot décrit ainsi le « rapport érotique » que la Reine entretient Sidonie :
« (…) [la Reine] s’extasie sur ses bras potelés, la frictionne pour apaiser la brûlure d’une piqûre de moustique. Marie-Antoinette aime les corps, presque à la façon d’un fauve. A la fin du film, lorsqu’elle demande à Sidonie de se dévêtir pour prendre la place de la Polignac, quelque chose se produit qui parachève le triangle que j’évoquais. »

Les Adieux à la Reine, (c) Carole Bethuel

De son côté, Chantal Thomas souligne la sensualité qui émane de ces idylles féminines :
« L’amour qu’elle éprouve pour la duchesse de Polignac la rend plus émouvante encore. Marie-Antoinette a une sensualité exacerbée et un sens esthétique très étonnant. Elle était passionnée par le vêtement et l’univers filmique de Benoit Jacquot le rend admirablement. Ce sont des caresses qui passent d’une femme à une autre – et pas seulement par la peau- par les tissus, la brillance des cheveux, des gestes (…). »
D'autant que le casting, assurément, ne manque pas de charme. Trois actrices aussi jolies que talentueuses, à l'affiche (et en grand, dans le métro !) dans un passionnant triangle amoureux, cela relèverait presque du miracle ! Et si l'on déplore l'absence de scène un peu plus osées (avec un tel casting, c'est un sacrilège !), il faut reconnaître que pour entretenir la tension (l'attention ?), l'équipe du film a mis les bouchées doubles. En ces jours de tumulte où le temps s'arrête, comme pris au piège de la Révolution, tout semble possible ; alors on attend, on attend, on attend... Et l'on profite de chaque signe, chaque mouvement, chaque plan (et on ne parle pas uniquement, ici, de Madame de Polignac endormie nue dans son lit...). Car c'est avec pudeur (trop ?... d'accord, on est aussi frustré que Sidonie en sortant du cinéma) et délicatesse que Benoît Jacquot filme à Versailles un saphisme à peine déguisé, mettant à l'honneur la gente féminine, de la Reine aux simples domestiques. Jusqu'au retournement final (mais chut, nous n'en dirons pas plus !), qui est tout simplement saisissant. Manipulation (préméditation ?), amour, cruauté, sacrifice... Sublime !

Pourquoi il faut aller voir le film Les Adieux à la Reine...

« Sidonie est tellement prise dans l’histoire qu’elle n’est pas en mesure de tout comprendre. Par définition, lorsqu’on vit au présent, on ne sait rien de ce qu’on vit. Faire partager sa perception au spectateur était une manière de rendre les choses les plus vivantes possible ; éviter toute dimension passéiste. » (Benoit Jacquot)

Malgré une certaine lenteur, le film Les Adieux à la Reine convainc sans peine. En évitant soigneusement l’écueil didactique (on ne déroule pas, ici, la Révolution française par le menu) et en adoptant le point de vue subjectif de la lectrice de la Reine, il offre une vision inédite d'un moment clef de notre histoire. Et c'est grâce à cette approche tronquée voire faussée (la jeune servante n'est au courant que de ce que l'on veut bien lui dire), mais terriblement vivante, que l'on entre de plain-pied dans les entrailles de Versailles pour y vivre trois jours qui durèrent sans nul doute une éternité.
Bouillonnante et profondément oppressante, l'atmosphère apocalyptique de cette veille de prise de pouvoir par la force est admirablement rendue : à la lueur des chandelles, le ballet des nobles qui errent en robe de chambre, la nuit tombée, comme autant de fantômes dans les couloirs grouillants du château, laisse sourdre une irrépressible frayeur ; la fièvre de la Reine est communicative ; le calme olympien du Roi exaspère ; chaque déserteur qui abandonne le château-cocon semble se ruer dans les bras d'une guillotine assoiffée (qui sait ce qu'il se trame derrière les grilles du palais ?) ; filmées caméra sur l'épaule, les scènes sont particulièrement réalistes... Et lorsque l'on connaît l'issue du conflit, le nombre de têtes qui effectivement, ont roulé sur l’échafaud, on ne peut que vivre pleinement ces derniers jours de riches condamnés (dont on prendrait presque le parti !).

Les Adieux à la Reine, (c) Carole Bethuel

D'un esthétisme soigné, le film Les Adieux à la Reine doit également beaucoup à la magnificence des costumes et à la richesse des décors. Tourné à Versailles, un Versailles bruissant et palpitant, il nous ouvre la porte des minuscules chambres de bonnes, des fastueux appartements de la Reine, de la mystérieuse bibliothèque du château qui déborde de vieux ouvrages aux magnifiques reliures, des caves insalubres où dînent les serviteurs... D'une grande beauté, les images, prises dans un jeu d'ombres et de lumière, nous rappellent les clair-obscur de Georges de La Tour, de Rembrandt ou encore du Caravage. Interrogé, Benoit Jacquot confie une astuce de tournage :
« C’est la nuit, un feu de cheminée est allumé parce que Marie-Antoinette brûle des lettres. Et ce feu éclaire tout. Quel dispositif imaginer pour que la lumière du feu de cheminée confère un éclat nocturne à la scène ? Puisque ce lieu s’appelait le cabinet doré, Katia Wyszkop a pensé à de très grands paravents en plaqué or. Ils donnent un sentiment à la fois chaud, doré, légèrement inquiétant ; flamboyant et nocturne. ».
Enfin, sachez que l'on rit aussi devant le film Les Adieux de la Reine, et que cela fait un bien fou dans un film d'une telle intensité ! Lorsque Madame de Campan, attachée au service de la Reine, s'agite avec une inefficacité redoutable dans les jupons de sa majesté, on réprime un sourire ; quant à Sidonie – une autre Reine, du Gadin celle-là ! –, elle nous fait tout simplement éclater de rire !

Auteur : Cécile Duclos

La fiche du film Les Adieux de la Reine :
Genre : film historique franco-espagnol
Sortie : le 21 mars 2012
Durée : 1h 40min
Réalisation : Benoît Jacquot
Crédit photos : Carole Bethuel
Scénario : Benoît Jacquot et Gilles Taurand, d'après l'œuvre de Chantal Thomas
Acteurs : Léa Seydoux (Sidonie Laborde), Diane Kruger (Marie-Antoinette), Virginie Ledoyen (Gabrielle de Polignac), Xavier Beauvois (Louis XVI), Noémie Lvovsky (Madame Campan), Michel Robin (Jacob-Nicolas Moreau), Julie-Marie Parmentier (Honorine), Lolita Chammah (Louison), Marthe Caufman (Alice), Vladimir Consigny (Paolo)...

Mon espace conso
Le roman de Chantal Thomas :
Les Adieux à la reine (Prix Femina 2002), Chantal Thomas, Points, avril 2006.
Voir tous les produits (DVD, livres, CD...) autour du film Les Adieux à la reine



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