jeudi 7 juin 2012

Degas et le nu au musée d'Orsay

Degas et le nu au musée d'OrsayJusqu'au 1er juillet 2012, l'exposition Degas et le nu au musée d'Orsay retrace l'évolution du peintre sous un angle des plus passionnants, l'appréhension des corps. Des premiers nus académiques de Degas à ses exquises baigneuses en passant par les filles de joie des maisons closes, l'exposition regroupe une multitude de fusains, estampes, gravures, eaux-fortes, pastels, lithographies, huiles, sculptures, photographies, etc. Et comme tous les corps, dans cette saisissante rétrospective, évoluent dans leur plus simple appareil, les inconditionnels des gracieuses danseuses de Degas affublées de tutus roses, bleus et verts, de nœuds colorés et de ballerines à lacets, devront se faire une raison : même dépouillés de tout artifice, les petits rats de l'Opéra continuent à danser.

Pour ouvrir la boîte de Pandore, c'est ici...
Le saviez-vous ? C'est au Louvre, lors d'une séance de copie de tableaux, que Degas fait la connaissance de Manet en 1862.

Présentation de l'exposition Degas et le nu au musée d'Orsay

Pendant près de cinquante ans, en travaillant sur les nus, Degas participe à plusieurs courants novateurs comme le réalisme, le naturalisme ou encore l’impressionnisme, tout en s'affirmant dans la maîtrise de diverses techniques graphiques parmi lesquelles le monotype (estampe sans gravure), dont il favorisa la réhabilitation, et bien sûr le pastel, où il s'illustra. Au fil des salles, les œuvres d'autres artistes, qu'ils soient contemporains de Degas comme Renoir, influencés par son travail comme Picasso, Gauguin ou Bonnard, ou sources d'inspiration comme Ingres, soulignent le cheminement artistique du peintre.

En images, la bande-annonce de l'exposition Degas et le nu au musée d'Orsay :

Co-organisée avec le Museum of Fine Arts de Boston, l'exposition Degas et le nu au musée d'Orsay permet de découvrir une partie du riche fonds d’œuvres graphiques conservées au musée d'Orsay, à l'abri de la lumière, ainsi que de très belles pièces provenant de collections privées et publiques, dont les plus grands musées (Metropolitan Museum of Art de New York, Noortman Master Paintings d'Amsterdam, Art Institute de Chicago, National Gallery de Londres, Museum of Fine Arts de Boston, Museum Getty de Los Angeles, le Louvre et le musée de l'Orangerie, le musée cantonal des Beaux-arts de Lausanne, etc.). Des séries d’œuvres habituellement présentées au public dans différents pays ont ainsi pu être reconstituées, permettant d'appréhender diverses représentations d'une même scène et de rapprocher les études préparatoires du tableau final.

Degas, Femme nue couchée, © RMN (Musée d’Orsay)

A la découverte de l'exposition Degas et le nu au musée d'Orsay

Du classicisme académique aux maisons closes : les dessous de l'exposition Degas et le nu au musée d'Orsay

« Il faut copier et recopier les maîtres » (Degas)

Articulée autour de sept grands thèmes suivant un ordre chronologique, l'exposition Degas et le nu au musée d'Orsay commence avec les années d'études de Degas dans les ateliers de Barrias (1822-1907) et de Lamothe (1822-1869). C'est à cette époque-là que le jeune peintre apprend à croquer les nus, d'après modèle vivant mais aussi en copiant sculptures et tableaux. La salle dédiée au « corps classique » présente les dessins (Nu aux bras croisés derrière la tête) et peintures (Petites filles spartiates provoquant des garçons) que Degas réalisa alors, pour la plupart inspirés de l'Antiquité gréco-romaine.
Dans la salle suivante consacrée au « corps en péril », on peut analyser Scène de guerre au Moyen Age, une peinture réalisée en 1865 à l'occasion du Salon officiel, à la lumière de ses multiples ébauches préparatoires, chaque personnage du tableau historique faisant l'objet d'une ou plusieurs études de nu. A l'instar des productions noires de Goya (Grande prouesse ! Avec des morts, eau-forte et lavis, 1810-1814) et de Delacroix (La Mort de Sardanapale, huile sur toile, 1844), exposées dans cette section, Degas n'hésite pas à dénoncer la barbarie humaine sans pour autant renoncer à la dimension esthétique de l'art, inscrivant ainsi son travail dans un courant proche du dolorisme. La cruauté des guerriers ne connaît pas de limite, et les premières victimes en sont les femmes. L'intérieur, aussi appelé Le Viol (1868-1869), que l'on avait déjà pu voir au musée d'Orsay lors de l'exposition Crime & Châtiment en 2010, délivre le même message : quelles que soient l'époque, la société, les femmes restent des proies de choix pour nombre de criminels.

Degas, Femme nue couchée sur le ventre, © RMN (Musée d’Orsay)

Femmes objets que l'on retrouve dans la troisième salle, aux mains des clients des maisons closes. Sur le thème du « corps exploité », cette section regroupe de nombreux monotypes qui nous ouvrent les portes d'un milieu interdit, celui de la prostitution. C'est en travaillant sur cet univers peu conventionnel, et charnel, que Degas rompra définitivement avec les règles du classicisme académique : dans les maisons closes, les corps, inactifs, apparaissent gras et flasques ; la chair se déforme, se répand, s'exhibe. Et se monnaye. Devant l'Attente d’un client, on pense au Client ou Maison Close de Jean-Louis Forain et aux filles de mauvaise vie de Toulouse-Lautrec ; Le Client sérieux semble tout droit sorti de l'atelier d'eaux-fortes du même Forain qui, lui aussi, peignit beaucoup de jeunes danseuses. Et si la crudité de ces scènes calfeutrées empêcha Degas de les exposer de son vivant, il en émane, aujourd'hui encore, une troublante sensualité, comme le prouvent L'entremetteuse (1876-1877) aux courbes affolantes, ou encore Femmes nues (1876-1877), un pastel sur monotype à l'encre noire que l'on vous laisse découvrir...

Du voyeurisme au modernisme : les surprises de l'exposition Degas et le nu au musée d'Orsay

« Voyez celle-ci, elle se lave les pieds […] c'est comme si vous regardiez par le trou de la serrure » (Degas)

Les deux salles suivantes, qui s'attachent respectivement au « corps observé » et au « corps exposé » dans les années 1870-1880, sont sans doute les plus marquantes de l'exposition Degas et le nu au musée d'Orsay. Regroupant dessins, monotypes, gravures, peintures, sculptures (ne manquez pas Le tub réalisé en fonte, tout simplement merveilleux !), elles comptent parmi leurs trésors de sublimes pastels (d'une très grande fragilité, due à leur sensibilité à la lumière) de femmes au bain (Femme dans son bain s'épongeant la jambe, Le tub), terminant leurs ablutions (Femme s'habillant), assoupies (Baigneuse allongée sur le sol, 1886), se coiffant. Ébloui par le flot de couleurs éclatantes, on entre de plain-pied dans le quotidien de femmes aux corps sublimés, à la chair miroitante, dignes héritières des Diane au bain, Vénus à la toilette, et autre Suzanne et les vieillards. Inscrites dans un courant résolument naturaliste, elles n'en frisent pas moins la perfection, comme le témoignent les splendides Femme assise sur le bord d'une baignoire, s'épongeant le cou (1880-1895) et Femme à sa toilette s'essuyant le pied gauche (1885-1886).

Degas, Le Tub, © RMN (Musée d’Orsay)

Quand on lui parlait de ses baigneuses, Degas disait qu'elles faisaient leur toilette, tout simplement, comme des « bêtes ». Loin des séances de pose des ateliers de peinture, elles semblent ne même pas savoir que quelqu'un les regarde. Et pourtant, l’œil du peintre-spectateur n'est jamais bien loin ! Ni celui, tout aussi voyeur, de l'esthète, tel l'écrivain Huysmans qui souligna « la suprême beauté des chairs bleuies ou rosées par l'eau ». Car il faut bien le reconnaître, les baigneuses de Degas, ensorcelantes, sont absolument irrésistibles.

Degas, Après le bain, une femme s’essuyant les pieds, © RMN (Musée d’Orsay)

Dans la sixième salle, le « corps transformé » est à l'honneur. En vieillissant, souffrant de problèmes de vue, Degas donna une part de plus en plus importante à la sculpture (de nombreuses danseuses en fonte, en bronze ou encore en cire et bois virevoltent dans les vitrines), ses dessins au fusain se stylisèrent à grands coups de crayons nerveux et ses pastels et peintures s'émancipèrent d'un certain réalisme, basé sur la forme, pour s'attacher à la gestuelle et aux couleurs, de plus en plus vives et surprenantes. En fin de carrière, les œuvres que réalisa Degas font preuve d'une modernité saisissante, dans la palette de couleurs comme dans la déconstruction des corps : c'est l'objet de la dernière salle baptisée « l'héritage des nus de Degas ». Parmi les chefs d’œuvre de cette ultime section, notons le rougeoyant Après le bain (Femme s'essuyant).

Auteur : Cécile Duclos

Informations pratiques
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Exposition Degas et le nu au musée d'Orsay
Dates : du 13 mars au 1er juillet 2012
Adresse : Musée d'Orsay, entrée par le parvis, 1, rue de la Légion d'Honneur, 75007 Paris
Horaires : tous les jours, sauf le lundi, de 9h 30 à 18h, le jeudi jusqu’à 21h 45
Tarifs : plein 12 €, réduit 9,50 €
Commissaires : George T. M. Shackelford, Head of European art, conservateur au Museum of Fine Arts, Boston ; Xavier Rey, conservateur au musée d'Orsay
Crédits photos : Edgar Degas, Femme nue couchée sur le ventre, la tête entre les bras, étude pour Scène de guerre au Moyen Âge, 1863-65 ; pierre noire sur vélin, 19,3 x 35,5 cm ; Paris, musée d’Orsay ; © RMN (Musée d’Orsay) / Stéphane Maréchalle
Edgar Degas, Après le bain, une femme s’essuyant les pieds, 1886 ; pastel sur carton, 54 x 52 cm ; Paris, musée d’Orsay, legs du comte Isaac de Camondo, 1911 ; © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Edgar Degas, Le Tub, 1886 ; pastel sur carton, 60 x 83 cm ; Paris, musée d’Orsay, legs du comte Isaac de Camondo, 1911 ; © Musée d'Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt
Edgar Degas, Femme au bain, 1893-1898 ; huile sur toile, 71,1 x 88,9 cm ; Toronto, Art Gallery of Ontario. Achat sur le fonds de dotation Frank P. Wood, 1956 ; Photo © 2011 AGO
Edgar Degas, Après le bain, femme nue s’essuyant la nuque, 1895-1898 (affiche de l'exposition); pastel sur carton, 62,2 x 65 cm ; Paris, musée d’Orsay, legs du comte Isaac de Camondo, 1911 ; © Musée d'Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt
Edgar Degas, Femme nue couchée, 1886-88 ; pastel, 48 x 87 cm ; Paris, musée d’Orsay ;© RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

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Le catalogue de l'exposition Degas et le nu au musée d'Orsay :
Degas et le nu, Xavier Rey et George T. M. Shackelford, Hazan, 14 mars 2012, 336 pages.
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