mardi 31 juillet 2012

Interview de Jesca Hoop, notre sorcière bien aimée

Interview de Jesca Hoop, notre sorcière bien aimée Le rideau de velours rouge du Silencio, le club parisien de David Lynch, se referme. Les quatre musiciens, un à un, disparaissent. Jesca Hoop et sa guitare, sa chemise cravatée et son pantalon baggy ; sa choriste Becky (Rebecca Stephens) ; son batteur (électronique) et son bassiste guitariste. Les applaudissements nous ramènent – bien malgré nous ! – à la réalité. L'émotion a été telle pendant cette heure de concert privé et d'intense communion, qu'il nous faut quelques minutes pour reprendre pied, surmonter le vertige qui nous a totalement transportés, comme par magie. Pris au cœur et aux tripes par les rythmiques et les harmonies tribales, amérindiennes des chansons de Jesca Hoop, nous nous demandons, en quittant le club rue Montmartre, si nous ne sommes pas tombés sous le charme d'un mystérieux sortilège... Existe-t-il un passage secret du Silencio à Twin Peaks ? du Club à la Loge ?
La veille, lorsque Jesca Hoop nous rejoint à l'heure du thé, nous sommes bien loin de nous imaginer l'ampleur de ses pouvoirs !... Et pourtant, le message est clair : tous les matins, elle se réveille dans la peau d'une sorcière. Mais comme on dit, il faut voir pour croire. De la genèse de son dernier album The house that Jack built aux rêves qu'elle note le matin au réveil, Jesca hoop nous parle du temps à l'orage et de solitude, de conteneur maritime, de café et de vin, de Jack, d'Aretha Franklin et de Metallica, d'opéra, de musique folk et de musique en famille, de communauté mormone et de l'étrangeté de la vie, de tentes, de yourtes, de tipis et de poulaillers, de menuiserie et des travaux de la ferme, de feux de camps et de vélo, de démo et de DJ à L.A., de tournées et de granges à rénover... Interview de Jesca Hoop, notre sorcière bien aimée.


Pour ouvrir la boîte de Pandore, c'est ici...
Bonus : A la question « Dernièrement, quelle a été votre plus forte émotion musicale ? », Jesca Hoop répond : « La tristesse. ».

Interview de Jesca Hoop pour la sortie de son dernier album, The house that Jack built

« C'était un peu comme si, alors que le temps était à l'orage, je marchais sous un ciel menaçant jusqu'à ce que les idées commencent à se former et que les chansons, peu à peu, se dévoilent d’elles-mêmes. »

Vous avez composé et écrit votre dernier album The house that Jack built seule, à Manchester (le morceau Pack animal est inspiré de cette période). Comment avez-vous vécu cette sorte de « retraite musicale » ?
C'était assez difficile au début car je n'avais rien écrit depuis un petit bout de temps. Comme je savais que je devais terminer l’album dans un délai raisonnable, il fallait que je force mon esprit à se concentrer. Vous savez, je n'ai pas sans arrêt des idées qui arrivent, comme ça, et qu'il me suffit de retranscrire. Je dois me dire : « maintenant, il faut que je m'y mette, que j'écrive ». Du coup, chez moi, l'atmosphère était vraiment agitée, il fallait que je donne vie à ces chansons. C'était un peu comme si, alors que le temps était à l'orage, je marchais sous un ciel menaçant jusqu'à ce que les idées commencent à se former et que les chansons, peu à peu, se dévoilent d’elles-mêmes. Et j'ai cru devenir folle parce que j'étais tout le temps seule, dans un endroit relativement nouveau pour moi. Je n'avais donc pas beaucoup d'interaction sociale. Rétrospectivement, toutefois, je pense que finalement, cette période de solitude a été bénéfique pour moi.

Passage obligé pour entrer dans la 3ème dimension : une paire de lunettes anaglyphes rouge / cyan (en carton, ça suffit).
Pour entrer dans la 3ème dimension, une paire de lunettes anaglyphes rouge / cyan suffit (n'hésitez pas à cliquer sur l'image pour l'agrandir).

Votre lieu de vie a-t-il eu une influence sur la composition de l'album ?
La chambre où je travaille n'a rien de spécial, elle est plutôt modeste puisqu'elle a été construite à l'intérieur d'un conteneur maritime. Vous savez, le genre de conteneurs que l'on peut voir à l’arrière des gros camions. Mon « boudoir » – la pièce où j'écris – a été aménagé dans l’un d’eux. C'est juste une chambre temporaire où j'ai entreposé toutes mes affaires. Je ne sais pas dans quelle mesure cela a eu un impact sur ma façon d'écrire, mais je pense qu'en règle générale, être dans de beaux endroits permet de s'ouvrir l'esprit et de trouver des mélodies entraînantes : regarder les gens marcher, parler, sortir de chez eux, tout cela contribue à la formation d’idées. Je pense que l'environnement est très important lorsque l'on écrit des chansons.

Et sinon, qu'est-ce qui favorise, chez vous, la création artistique ?
Avoir un café sous la main (rires), c'est super ! Du café et du vin (rires) !

Pouvez-vous nous parler de cette « maison que Jack a construite », et qui a donné son nom à l'album ? [NDLR : The house that Jack built]
C'est un thème qui revient régulièrement dans la culture populaire ; il y a un pub en Angleterre qui s'appelle The house that Jack built, une chanson d'Aretha Franklin qui porte le même nom, un morceau de Metallica aussi. Mais le titre que j'ai choisi pour cet album, c'est en référence à mon père qui s'appelle Jack. C'est une métaphore sur la vie qu'il s’est construite, et dont nous avons été témoins.

Jesca Hoop, tous droits réservés

Une histoire à tiroirs : interview de Jesca Hoop, de l'église à la radio en passant par la ferme

« Je roulais à vélo et je vivais dans des tentes, des yourtes, des tipis, des fermes, des poulaillers, dans n'importe structure alternative, en fait, qui pouvait m’éviter d'avoir une maison. »

Vos parents étaient musiciens, n'est-ce pas ?
Ils étaient chanteurs. Mon père était guitariste et chanteur de folk. En amateur, ma mère chantait de la musique classique, elle était soprano. Comme elle a été formée à l'opéra, elle m'a enseigné certaines techniques de voix qu’elle maîtrisait, et nous chantions des morceaux de folk quand nous étions tous ensemble, en famille.

Vous avez grandi dans une famille mormone. Quels souvenirs gardez-vous de cette période de votre vie ?
J'ai beaucoup de souvenirs de ma famille (rires) ! Nous étions cinq, cinq enfants en réalité, la maison était donc très animée ! J'ai grandi dans une petite communauté mormone où le culte avait une place très importante ; il y avait des offices le dimanche et le mardi, puis à partir d'un certain âge, tous les jours. Dans mes souvenirs, ma famille était relativement heureuse. Sauf mon père, ce qui est étrange vu que tous ses enfants étaient heureux ! Mais mes parents, eux, n'étaient pas heureux. Alors ils ont fini par se séparer, et nous avons tous pris des directions différentes. J'ai donc eu la chance d'avoir une enfance simple et heureuse jusqu'à mes 14 ans environ ; et puis le paradigme mormon s'est fissuré, le noyau familial a éclaté et le monde s’est présenté à moi...

Que s'est-il passé ensuite, vous avez quitté votre famille ?
Oui, j'ai quitté ma mère quand j'avais 15 ans, c'est à cet âge-là que j’ai commencé à vivre avec des amis. Ensuite, pour ma dernière année de lycée, j’ai vécu quelque temps avec mon père. A cette époque-là, il traversait une période de sa vie vraiment très étrange. La plupart des histoires que je raconte dans mon dernier album The house that Jack built, comme dans les chansons DNR ou The house that Jack built, font référence à cette période-là. C'est un peu le fil conducteur du disque. La vie, alors, était très étonnante...

Jesca Hoop, tous droits réservés

Puis vous êtes devenue guide de survie...
Je me suis mise à vivre en marge de la société, à travailler dans des fermes, à faire de la menuiserie, à construire des maisons... Je roulais à vélo et je vivais dans des tentes, des yourtes, des tipis, des fermes, des poulaillers, dans n'importe structure alternative, en fait, qui pouvait m’éviter d'avoir une maison. Je ne gagnais pas beaucoup d'argent, mon but était juste d’atteindre l’autosuffisance et je vivais avec des gens qui partageaient les même idéaux. Au final, tout tournait autour de la construction de maisons, de la nourriture, des travaux de la ferme, du développement durable. J'ai également travaillé dans un programme de réhabilitation pour enfants, où je leur enseignais un maximum de choses pour survivre dans des conditions très dures dans les montagnes de l'Arizona.

Et vous faisiez de la musique à cette époque-là ?
Oui, j'ai toujours écrit des chansons, mais ce n'était pas vraiment pour les partager dans un contexte officiel. C'était plutôt autour de feux de camps, avec des amis, pendant des fêtes ou pour d'autres occasions du même style.

Quel a été le déclic pour revenir à la civilisation, et vous installer à Los Angeles ?
Le déclic a été l'envoi d'une chanson. J'ai développé mon écriture jusqu’à ce que je décide d'en vivre. En faisant de la musique mon métier, j'ai réalisé que j'étais assez loin de faire correctement ce pour quoi je pensais être la meilleure, avoir de réelles compétences. Alors j'ai décidé de ne plus faire que ça. J'ai mis quelques années à perfectionner mon écriture, quelques séances d'enregistrement m'ont permis d'acquérir les bases et de faire une démo [NDLR : Silverscreen Demos] que nous avons envoyée à L.A., à Nick Harcourt qui, à l'époque, était DJ sur la radio KCRW et particulièrement réputé pour lancer de nouvelles chansons à la mode. Il a programmé un morceau qui s'appelait Seed Of Wonder et qui a attiré l'attention des maisons de disque en restant numéro 1 dans les charts pendant plusieurs semaines. Voilà, c'est comme ça que je suis partie pour Los Angeles où je savais qu'en tant que musicienne, je bénéficierais d'un soutien non négligeable.

Votre vie passée – avant L.A. – vous manque-t-elle aujourd'hui ?
Certains aspects de cette vie-là me manquent, oui. Mais j'ai compris que l'on ne pouvait pas forcément vivre éternellement comme ça. On peut vivre de cette manière-là aussi longtemps qu'on le désire si c'est vraiment ce que l'on veut, mais cela n'est pas nécessairement compatible avec la carrière que l'on mène. En tout cas, pour ma part, j'ai dû faire un choix, même si j'ai réussi en quelques sortes à combiner les deux. Je n'ai plus la liberté qu'offre cette vie-là, que j'aimais beaucoup, mais aujourd'hui, je peux jouer de la musique dans le monde entier, et c'est pour cette raison que j'ai tout quitté. Et puis en parallèle, nous sommes aussi en train de rénover des granges à la campagne, ce qui me permet de toucher du bout des doigts des éléments de ma vie passée, de vivre en extérieur et de construire une maison familiale qui va être formidable (rires) !


Interview de Jesca Hoop, la musique jusqu'au bout du monde

« Je me réveille dans la peau d'une sorcière tous les matins (rires) ! »

Comment avez-vous appris à jouer de la guitare ?
J'ai commencé à faire de la guitare il y a quelques années, à l’âge de 18 ans environ. Et j'en joue probablement aussi bien maintenant qu'à cette époque-là (rires) ! J'ai juste appris par moi-même, comme ça, au fil du temps, et aujourd’hui encore, j’essaye d'apprendre de nouvelles choses. Cela me prend pas mal de temps, mais je continue quand même. Et puis j'aime le rythme, les choses rythmiques.
Jesca Hoop, tous droits réservés


Jouez-vous d'autres instruments de musique ?
Je peux jouer de n'importe quel instrument de musique, il n'existe aucune règle en la matière. Mais je ne pense pas mieux jouer d'un autre instrument que de la guitare (rires), même si je compose en dilettante. La voix reste, de toute façon, mon instrument principal.

Demain, vous vous réveillez dans la peau d'une sorcière. Quelle est la première chose que vous faites ?
Je me réveille dans la peau d'une sorcière tous les matins (rires) ! Et la première chose que je fais, c'est écrire les rêves de ma nuit précédente.

Vous vous souvenez de vos rêves ?
Oui, je les note, et s'ils en valent la peine, je les mets sur Internet. Mais pour en revenir à votre question, la première chose que je ferais dans la peau d'une sorcière, ce serait envoyer des ondes positives au monde.

Et vous arrive-t-il de composer en dormant, dans vos rêves ?
Cela m'est arrivé, dans le passé. Malheureusement, je n'ai pas souvent eu cette chance.
Jesca Hoop, tous droits réservés

Demain, vous jouez au Silencio, le club privé de David Lynch. Quel effet cela vous fait-il ?
J’ai hâte de jouer là-bas ! Ça devrait être amusant et intéressant, intimiste aussi. J’attends vraiment ce moment avec impatience. Quelques membres du groupe vont également se joindre à nous, c'est une belle soirée en perspective !

Pour terminer, quels sont vos projets ?
Après l'Europe dans les jours qui viennent, je retourne en Angleterre pour préparer ma tournée aux États-Unis qui sera suivie, en septembre, d'une nouvelle tournée en Angleterre et en Europe [NDLR : Jesca Hoop jouera en France à la rentrée prochaine, mais la date n'est pas encore annoncée], ponctuée de sauts de puce aux États-Unis. Les mois à venir seront donc marqués par des allers-retours entre les États-Unis, l’Europe et l’Angleterre ! En parallèle, je travaille sur mon prochain album qui devrait être prêt dans un an et demi environ. C'est la loi des séries, mes projets à court et long termes sont les mêmes : jouer pour les gens, collecter des idées, apporter un peu plus de musique au monde dans lequel nous vivons, comme tout artiste qui enregistre des chansons. Enfin, je fais de mon mieux pour mener, en même temps, une vie enrichissante, qui nourrisse mon travail, pour profiter de mes voyages, pour glaner des idées à droite à gauche, là où je vais, pour construire une maison avec ma famille, pour continuer à apprendre, toujours, et ainsi avoir quelque chose à écrire.

Interview réalisée le 17 juillet 2012 par Cécile Duclos
Traduction : Caroline Guyot, Alice Mason

Jesca Hoop, The house that Jack built, 4 juillet 2012

Retrouvez Jesca Hoop sur le web : sur son site officiel, sur wikipedia, sur myspace, sur facebook et sur twitter.

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Le dernier album de Jesca Hoop :
The house that Jack built, Jesca Hoop, Pid, juillet 2012.
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