lundi 27 février 2012

Danser sa vie à Beaubourg

Josephine Baker, La Revue des Revues, 1927Jusqu'au 2 avril 2012, la danse s'invite à Beaubourg pour une exposition inédite, Danser sa vie, Art et Danse de 1900 à nos jours. Avec plus de deux mille mètres carrés consacrés à cet événement hors du commun, le musée parisien rend hommage à la danse en l'inscrivant dans l'art en images, en volumes et en mouvements : peintures, photographies, vidéos, sculptures, coupures de journaux, installations mécaniques, dessins, gravures, objets... Au fil du 20ème siècle, on découvre ainsi comment la danse s'est nourrie des arts plastiques et réciproquement. Échange enrichissant où l'art contemporain succède à l'art moderne, où les grands maîtres comme Matisse, Picasso ou encore Rodin, côtoient les envoûtants battements d'ailes de Loïe Fuller.

Pour ouvrir la boîte de Pandore, c'est ici...
Bonus : Laissons la parole à Vassily Kandinsky :
« Dans la danse tout le corps et, dans la danse contemporaine, chaque doigt dessinent des lignes aux expressions précises. Le danseur “moderne” suit sur la scène des lignes distinctes et il les inclut comme un élément essentiel dans la composition de sa danse (Sakarov). Tout le corps du danseur jusqu’au bout des doigts constitue à tout moment une composition linéaire ininterrompue (Palucca). »

Danser sa vie à Beaubourg... en trois actes

« La danse, mieux qu'aucun autre des arts, peut nous livrer l'essentiel des mythes. » (Maurice Béjart) 

L'exposition Danser sa vie à Beaubourg se décline en trois axes thématiques : la subjectivité qui habite l’œuvre et devient vecteur d'expression ; l'histoire de l'abstraction du corps, de sa déconstruction à sa mécanisation ; la performance, née dans la tourmente de la Première Guerre mondiale avec le dadaïsme.

En images, la présentation officielle de l'exposition Danser sa vie à Beaubourg :


Nos coups de cœur, pêle-mêle : les premières salles où l'on s'imprègne avec émotion de l'incroyable liberté artistique de ce début de siècle ; les photographies, dessins et séquences animées de Joséphine Baker ; les esquisses et clichés d'Isadora Ducan ; Loie Füller qui déploie ses ailes de tissu dans un captivant court métrage ; les diverses représentations de Nijinski ; l’hypnotisant hommage au corps féminin de Jan Fabre (Quando l'uomo principale è una donna), qui filme les acrobaties d'une jeune femme nue dans l'huile (un banc est installé en face) ; le Tanztheater de Pina Bausch (dans la salle 5) ; les corps contorsionnés de Picasso, Matisse, Kertész ; et les improvisations de William Forsythe d’après les théories de Laban.

Cravos, Pina Bausch (Danser sa vie à Beaubourg)

Danser sa vie à Beaubourg : La danse comme expression de la subjectivité

« Mon art est précisément un effort pour exprimer en gestes et en mouvements la vérité de mon être. […] Devant le public qui venait en foule à mes représentations, je n'ai jamais hésité. Je lui ai donné les impulsions les plus secrètes de mon âme. Dès le début, je n'ai fait que danser ma vie. » (Isadora Duncan, Ma vie, 1928)

Nijinski, Après-midi d un Faune, 1911En ouverture de l'exposition Danser sa vie à Beaubourg, un ensemble d’œuvres majeures permettent de faire le lien entre expressions corporelle et artistique. Jouxtant La Danse de Paris d'Henri Matisse, les danseurs en bronze de Rodin (dont le sublime Nijinski) accomplissent d'énigmatiques chorégraphies. Sur des instantanés en noir et blanc, les élèves de l’école de danse de Rudolf von Laban dansent entièrement nus, en pleine nature, tels d'antiques déités grecques. Mary Wigman se remémore ainsi ces bacchanales artistiques qui révolutionnèrent la danse : 
« Nous étions jeunes. Et la liberté de ces semaines d’été, ajoutée à la beauté ensoleillée du paysage, délivrait nos membres et ouvrait les portes spirituelles de notre vivacité. Nous marchions dans la forêt […] dansions jusque tard dans la soirée sur les plateaux enflammés et dans les doux herbages des vallées. Tout était fête et n’avait pas de fin. ».
Tanzschule, Laban
De son côté, l'américaine Martha Graham exploite un nouveau langage chorégraphique. Croquée par Antoine Bourdelle, flashée sous tous les angles, Isadora Duncan improvise d’ensorcelantes danses avec ou sans les jeunes nymphes de son école. L'étoile des Ballets Russes, Nijinski, entre en état de grâce dans L’Après-Midi d’un faune... Au rythme des toiles, sculptures, pellicules, dessins, un vent de liberté se lève dans le Centre Pompidou, tandis que la danse, pas après pas, se libère du carcan classique dans un puissant souffle artistique. 
Marqué par le mouvement expressionniste (lire notre article L'expressionnisme à la Pinacothèque), le début du XXème siècle fait également la part belle à la subjectivité et à sa représentation. Comme la littérature, le théâtre ou encore le cinéma, la danse devient très vite un lieu d'expression privilégié. Des peintres comme Kirchner ou Emil Nolde s'intéressent de très près à la danse, et à ses figures montantes. Parmi elles, Mary Wigman, célébrée pour sa fascinante Danse de la Sorcière (Hexentanz) et ses masques de scène – qu'elle réalise elle-même –, raconte :
« Lorsqu’un soir je rentrai dans ma chambre, complètement hagarde, par hasard je me regardai dans la glace. Elle reflétait l’image d’une possédée, sauvage et lubrique, repoussante, subjuguante. Échevelée, les yeux enfoncés dans les orbites, la chemise de nuit de travers, le corps sans forme : la voilà, la sorcière – cette créature de la terre, aux instincts dénudés, débridés, avec son insatiable appétit de vie, femme et bête en même temps. ».

Kirchner, Totentanz, Mary Wigman, 1926-8

Danser sa vie à Beaubourg : la danse et l'art abstrait

« C’est peut-être cette grande artiste de la ligne et des couleurs, la Loïe Fuller, qui fut le précurseur de l’art féminin d’aujourd’hui quand elle inventa cette chose géniale où se mêlaient la peinture, la danse, le dessin et la coquetterie et que l’on appela très justement : la danse serpentine. » (Guillaume Apollinaire)

A une époque charnière où se bousculent les innovations technologiques, la danse entre à son tour dans la modernité. En faisant tournoyer ses voiles ailés dans un extraordinaire jeu de lumières électriques, Loïe Fuller donne ainsi naissance à la danse serpentine.
En images, la célèbre danse serpentine de Loïe Fuller :


En réponse à l'industrialisation de la société, à la mécanisation des tâches, quelques grands noms de la peinture préparent eux aussi activement l’avènement de l'art abstrait : Sonia Delaunay travaille sur les symphonies chromatiques et rythmiques ; Kandinsky sur l'harmonie ; František Kupka sur le rythme des mouvements ; les futuristes, les cubistes (Picasso, Fernand Léger...) démantèlent les corps, abolissent l'espace-temps. L'abstraction naît de la déconstruction réfléchie des figures, de leur reconstruction, de leur réanimation, dans une volonté de simplification et de perfection.
« Tout peut bouger, “la mesure humaine” qui, jusqu’ici, était dominante disparaît. L’homme devient un mécanisme comme le reste, de but qu’il était, il devient un moyen (multiplication des moyens d’effet) » (Fernand Léger)
Réduite à des figures élémentaires, la danse abstraite, épurée, opère elle aussi un retour aux sources, à une forme d'art primitif, de perfection originelle. Observés au microscope du taylorisme, tous les mouvements sont consignés, mesurés, les enchaînements sont décortiqués. Danseur, dessinateur et fondateur de la choreutique, Laban réussit ainsi l'exploit d'inscrire dans une figure géométrique simple – l'icosaedron – l'ensemble des mouvements possibles d'un danseur. Dans une petite pièce accolée à la salle des ballets futuristes et mécaniques, l'exposition Danser sa vie à Beaubourg propose également un montage vidéo étonnant de la divine Joséphine Baker, que vous laisse découvrir...

Danser sa vie à Beaubourg : performance et danse

« Danser dans une ronde est magique ; la ronde nous parle depuis les profondeurs millénaires de la mémoire. » (Milan Kundera)

L'exposition Danser sa vie à Beaubourg se termine sur la performance dans la danse. L'art devient éphémère, palpitant, vivant ; il s'agit de faire corps avec la musique, les mouvements, les couleurs, les expressions, les émotions... Des années Dada avec des danseuses comme Suzanne Perrottet, Sophie Taeuber-Arp et Emmy Hennings aux années 40 avec Merce Cunningham et le Black Moutain College, en passant par les années 20 avec Niddy Impekoven et Valeska Gert, les performances, qui ont pris leur essor en Europe, traversent l'Atlantique pour séduire l'Amérique. Dans les années 50, la danseuse Anna Halprin invente les tasks – des mouvements issus d'actes quotidiens, de la nature et de l'espace socio-politique –, qui ancrent un peu plus l'art de la performance dans la vie elle-même. Dans les années 50-60, les innovations du Judson Dance Theater à New York, au même titre que les happenings d’Allan Kaprow, marquent l'histoire de la performance.
Dans les dernières salles de l'exposition Danser sa vie à Beaubourg, place à l'expérimentation : casques audio, dispositif (le Dance Diagram d'Andy Warhol) destiné à apprendre le Charleston, vidéo du même Andy Warhol (qui rêvait d'être danseur de claquettes) se trémoussant comme un beau diable... Et pour conclure cette incursion artistique dans l'univers de la danse : la révolution disco (qui culmine avec l'inoubliable performance de John Travolta dans le film Saturday Night Fever) et l'arrivée de la techno (du clubbing et des gogo-dancers). Une dernière bonne raison de vous rendre au Centre Georges Pompidou ? Jusqu'au printemps : « You can dance, you can jive, having the time of your life » (Dancing Queen, ABBA) !

Auteur : Cécile Duclos

Informations pratiques :
Exposition Danser sa vie à Beaubourg
Le site officiel du musée, c'est ici
Dates : du 23 novembre 2011 au 2 avril 2012
Adresse : Place Georges Pompidou, 75004 Paris
Horaires : tous les jours de 11h00 - 21h00, nocturne le jeudi jusqu'à 23h
Tarifs : plein 13 € ou 11 € selon période, réduit 10 € ou 9 € selon période

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Le catalogue de l'exposition Danser sa vie à Beaubourg :
Danser sa vie : Art et danse de 1900 à nos jours, de Christine Macel et d'Emma Lavigne, Centre Georges Pompidou, 16 novembre 2011, 320 pages.
Voir tous les produits (DVD, CD, livres, collectors...) autour de la Danse
La brochure de l'exposition Danser sa vie à Beaubourg :
Danser sa vie : Art et danse de 1900 à nos jours. L'exposition, de Christine Macel, d'Emma Lavigne et d'Anna Hiddleston, Centre Georges Pompidou, 16 novembre 2011, 60 pages.
Voir tous les produits (DVD, CD, livres, collectors...) autour de la Danse



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