lundi 7 mai 2012

Erwan Larher : Autogenèse, un roman de haut vol

Erwan Larher : Autogenèse, Crédit photos : Dorothy-Shoes« A droite, à gauche, tous les mêmes, tous pourris » (Syrano) : en cette période de marasme politique et d'âpre bataille électorale, le deuxième roman d'Erwan Larher, Autogenèse, sonne le glas d'une société au bord de l'asphyxie. Grinçant, percutant, parfois désopilant, ce roman épique nous précipite dans un futur proche où l'absurdité, poussée à son paroxysme, règne en maître. Implacable, la plume d'Erwan Larher dessoude la classe politique, dénonce les dérives économiques, décortique les manipulations médiatiques et bien sûr, désosse la nature humaine. Jubilatoire.

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Bonus : extrait choisi :
« Et c'était pareil avec les livres. Pourquoi lire celui-là plutôt que celui d'à côté ? Parce qu'on en parle dans les médias ? Mais pourquoi les médias ont-ils distingué celui-ci et pas l'autre ? Parce qu'il est meilleur ou parce que l'auteur est une personnalité ? Ou le copain du critique ? Ou la femme de l'acteur auquel on espère proposer un scénario un jour ? »

La méthode Icare, revue et corrigée par Erwan Larher (Autogenèse)

« Zadig, avec de grandes richesses, et par conséquent avec des amis, ayant de la santé, une figure aimable, un esprit juste et modéré, un cœur sincère et noble, crut qu’il pouvait être heureux. » (Zadig, Voltaire)

Singulièrement déstabilisante, la méthode Icare tient en un mot, l'un des plus élémentaires du vocabulaire français : « Pourquoi ». Utilisé à bon escient et sur un mode itératif, ce dernier s'avère d'une efficacité redoutable. Car à force de creuser pour mieux comprendre son semblable, on finit souvent par se heurter à un amas de contradictions et de points d'interrogation, quand ce n'est pas à une coquille vide. Démonstration :
« - Pourquoi vous avez fait ça ? [NDLR : téléphoner aux Nettoyeurs pour ramasser un clochard dans la rue]
- Parce que le vagabondage est interdit !
- Pourquoi ?
- Parce que c'est dangereux !
- Pourquoi ?
- Parce que ceux qui n'ont rien volent à ceux qui possèdent.
- Pourquoi ?
- Parce qu'ils n'ont rien, justement !
- Pourquoi n'ont-ils rien ?
- Parce qu'ils ne travaillent pas, pardi !
- Pourquoi ?
- Pourquoi, pourquoi ! Comment voulez-vous que je le sache ? En tout cas, c'est interdit !
- Si vous étiez dans cette situation, vous aimeriez qu'on vous dénonce ? »
Fin de la démonstration.

Erwan Larher, Crédit photos : Dorothy-Shoes

Mais revenons un peu en arrière. Qui est donc cet individu que l'on croise tantôt sous le nom d'Icare (sans les ailes), tantôt sous celui d'Ikea (oui, oui, comme les magasins) ou encore d'Arsène (Lupin ?) ? Mystère. Et finalement, quelle importance ? Ce que l'on sait (et ce que le principal intéressé, ledit Icare-Ikea-Arsène, sait aussi), c'est qu'il se réveille un beau jour seul, nu et amnésique, dans une maison inconnue. Ignorant jusqu'à son identité, il accepte les baptêmes successifs du hasard, ces noms abracadabrants qui lui tombent dans le bec au fil de trépidantes aventures où de gros méchants armés jusqu'aux dents affrontent des anges gardiens pas tellement plus catholiques, bien que secondés par une femme mercenaire comme on les aime, sexy, musclée, tête brûlée... Bref, une Lara Croft en herbe.
Picaresque, rocambolesque, le dernier ouvrage d'Erwan Larher, Autogenèse, mêle rebondissements incongrus et situations improbables avec aplomb. La délectation de l'auteur est palpable : il se moque éperdument des règles en la matière. Culbutant la sphère des possibles, il entre dans celle, vaste et fascinante, des contes philosophiques et des récits initiatiques.
Naïf et enthousiaste à l'image de son ancêtre Zadig, Icare se fait voler dans les plumes avant de prendre son envol. De son expérience de NoPass (sans papier) à la Centrale (Centrale Park pour les intimes) – un centre nucléaire aux mesures drastiques où les entrées sont interdites (trop dangereux), comme les sorties (trop dangereux) – à son élection comme chef du gouvernement, en passant par sa nomination à la tête de Trust Me – une bonne grosse boîte (12 000 salariés directs et 50 000 emplois indirects) –, Icare grimpe les échelons de la société (des bas-fonds au sommet), comme s'il avait des ailes. Complet, le panorama est sans concession. Et la méthode Icare, douce et ferme à la fois, ne faillit jamais. Les questions les plus simples ébranlent les plus hauts dirigeants comme les plus démunis. La preuve ? Un petit test grandeur nature : demandez donc à vos collègues à quoi sert l'entreprise où vous travaillez. Quelqu'un vous répondra bien quelque chose du genre « à vendre des biens de consommation ». Vous n'aurez plus, alors, qu'à préciser, comme Icare : « Non, ça c'est ce que fait l'entreprise (…). Je voudrais savoir à quoi elle sert. ».

Les yeux d'Icare dans les yeux d'Erwan Larher (Autogenèse)

« La nature a fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable. » (Jean-Jacques Rousseau).

La première sortie d'Icare-Ikea-Arsène ? Apercevant un homme qui arrose sa pelouse, « son premier semblable, son premier frère, son ami », notre brave samaritain le salue... et se fait asperger sans sommation, puis chassé comme un malpropre, chien à l'appui : « C'est un coin tranquille ici, on veut pas de gens comme vous ! On veut pas d'ennuis ! ». Le coup porte mais Ikea relève la tête, et poursuit son chemin.

Erwan Larher, Crédit photos : Dorothy-Shoes

En suivant Icare dans ses folles pérégrinations – son et notre (ou presque) triste quotidien –, on entre dans la peau d'un personnage qui renaît à la vie, vierge de tout passé, sans bagages ni traumatismes, un nouveau-né doté des facultés intellectuelles d'un homme mûr. On en vient donc, tout naturellement, à se poser des questions essentielles (existentielles ?), le type de questions que l'on s'empresse d'oublier en grandissant : « Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?... ». Les « pourquoi » de notre enfance et de nos enfants se bousculent dans la bouche innocente d'Icare. Le dernier roman d'Erwan Larher, Autogenèse, nous invite à voyager dans un espace temps distordu, dans un futur-passé où se terrent nos tâtonnements, notre insatiable curiosité et notre franchise d'antan.

Le cœur d'Icare sur la main d'Erwan Larher (Autogenèse)

« Quand on ne veut pas être faible, il faut souvent être ingrat. »
(Denis Diderot)

« De fait, les mêmes journalistes et spécialistes qui avaient traité Arsène d'idiot, de demeuré, de fou, d'irresponsable, d'abruti, de béotien, de stalinien, d'illuminé, de gourou, de trotskiste, de mégalomane égotique, de crétin décérébré chantaient maintenant ses louanges et voulaient tous qu'il explique à leurs lecteurs ou téléspectateurs la genèse de cet authentique miracle, l'origine de son idée de génie » : médias grégaires, politicars véreux, campagnes marketing ruineuses, patrons sans foi ni loi, nucléaire explosif, pistons à répétition, massacres civils, administration dictatoriale... Dans Autogenèse, Erwan Larher, bien que profondément humaniste, n'épargne personne (Sarkozy a même son baraquement à Centrale Park !).

Erwan Larher, Crédit photos : Dorothy-Shoes

Auteurs de plusieurs romans et de pièces de théâtre (Dégâts d'ego, Showbiz'), scénarii (Hypothermie, [ex]pulsions, L'invention de la musique, Showbiz' (Crever l'écran)), séries télé (Cool Records, Le Jury, Top Friends, Rien à voir), chansons et poèmes, ce cow boy littéraire n'a pas fini de nous surprendre en filant de jolis coups de plumes dans la fourmilière. Vivement la suite d'Autogenèse, prévu pour septembre 2013 !

Auteur : Cécile Duclos

Erwan Larher, Autogenèse, Michalon, 5 janvier 2012
Crédit photos : Dorothy-Shoes


Bibliographie d'Erwan Larher :
Autogenèse, Michalon, 2012
Qu'avez-vous fait de moi, Michalon, 2010

Retrouvez Erwan Larher sur le web : sur son site officiel et sur son blog.

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Le dernier roman d'Erwan Larher :
Autogenèse, Erwan Larher, Michalon, janvier 2012.
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