lundi 29 octobre 2012

La Demande en mariage & l'Ours de Tchekhov

La Demande en mariage & l'Ours de TchekhovFranchement loufoque, délicieusement absurde, magistralement corrosif, La Demande en mariage & l'Ours de Tchekhov, un spectacle « deux en un » actuellement à l'affiche du théâtre de l'Essaïon, tourne en dérision les travers de la nature et des relations humaines. Une demande en mariage qui dégénère en querelle de voisinage, le remboursement d'une dette qui vire à l'hystérie collective, quand l'humour russe gondole les planches parisiennes, c'est l'occasion rêvée de revisiter ses classiques en riant à gorge déployée !

Pour ouvrir la boîte de Pandore, c'est ici...
Sachez que derrière l'étroite façade du théâtre de l'Essaïon, une vieille bâtisse nichée dans une minuscule venelle du marais saturée de relents nauséabonds, se cachent de très belles caves voûtées à l'acoustique et au confort des plus agréables. Moralité ? Ne jamais se fier aux apparences.

La Demande en mariage & l'Ours de Tchekhov : un premier volet de haut vol

« Voilà le bonheur conjugal qui commence ! Du champagne ! » (Tchekhov)

D'une causticité sauvage, la jubilatoire Demande en mariage (parue en 1888) ouvre la danse. Ivan Vassilievitch Lomov, tout de blanc vêtu, vient en grande pompe demander à son voisin, Stepan Stepanovitch Tchouboukov, la main de Nathalia Stepanovna. Aux anges, le père court chercher sa fille qui, ignorant tout des raisons de cette visite au pied levé, rejoint un soupirant mort d'anxiété. Palpitations cardiaques, paupière qui tressaute, coups de poignards dans le ventre, la malheureuse « mignonne » – « bijou », « bichette », « tout précieux », bref, Lomov –, d'une gaucherie crasse, souffre d'une constitution fragile – de dégénérescence consanguine ? – et peine à avouer ses sentiments. Silences pesants, hésitations, échanges de banalités, cumul de maladresses... Grain de sable. La machine s'enraie, s'emballe, et la journée qui s'annonçait idyllique se transforme en méchante guerre des clans. Mais pour quelle raison, au fait, en vient-on à « chicaner » ainsi (« Nature de chicaneur ! Toute votre race était chicaneuse ! Toute ! », Tchouboukov à Lomov) en oubliant toute règle de bienséance, à se traiter d'intrigant et d'usurpateur, d'hypocrite et de chipoteur, de vieux rat et de Jésuite, de gringalet et de morveux, à déterrer les parents bossus, fous, alcooliques, joueurs, goinfres, contrefaits et cancaniers, avant de tout bonnement s'inviter... à aller au diable ? Ah oui, les Petits-Prés-aux-Bœufs ! Ce dérisoire lopin de terre de rien du tout qui a le malheur, historiquement, d'être coincé... entre le domaine de Lomov et celui de Tchouboukov. Personne ne s'y intéresse, mais tout le monde en revendique la propriété :
« – Je ne tiens pas à ces Petits-Prés… Ils mesurent en tout cinq arpents, et ils valent quelque trois cents roubles ; mais l’injustice me révolte. Dites ce que bon vous semblera, mais je ne puis supporter l’injustice. (Natalia Stepanovna)
–  Je n’ai pas besoin des Petits-Prés, Natalia Stepanovna, mais c’est par principe ; si vous les voulez, permettez-moi de vous les offrir. (Lomov). »
La Demande en mariage
Au-delà de l'humour débridé propre à la plume assassine du grand auteur russe, ce premier volet de La Demande en mariage & l'Ours de Tchekhov dresse une désopilante satire humaine et sociale d'une actualité étonnante... et détonante.

La Demande en mariage & l'Ours de Tchekhov : un deuxième volet mené haut la main

« Ça, c'est une femme, une vraie ! Du feu, de la poudre, une fusée ! C'est même dommage de la tuer. » (Tchekhov)

Sous le scalpel de Tchekhov, la complexité (l'absurdité ?) des sentiments humains éclate au grand jour : contradictions, égoïsme, sautes d'humeur, convoitise, mesquinerie, préjugés sexistes... L'Ours (une farce en un acte chère à Tolstoï, elle aussi parue en 1888) taille un cinglant costume au couple. L'histoire ? Nathalia Stepanovna est désormais veuve et vit seule avec son valet Louka. Solitude, pleurs, dépression, tel est son morne quotidien avant que Smirnov, un ancien officier d’artillerie d'une grossièreté saisissante, ne franchisse sans y être invité le seuil de sa maison pour lui réclamer le paiement, sur l'heure, des dettes qu'a contractées feu son mari. Enragé, le rustre est prêt à tout pour récupérer son argent : du discours sexiste à la provocation en duel (vive l'égalité homme femme !), de l'hystérie au chantage, des violences verbales aux menaces physiques, rien ne l'arrête, ou presque... Car il faut dire que la veuve éplorée n'a pas seulement de jolies fossettes, elle est également dotée d'un caractère bien trempé. Et lorsqu'elle dégaine les Smith & Wesson pour se battre aux pistolets, l'Ours fait patte douce... et tombe raide dingue de sa débitrice. De la haine à l'amour, il n'y a parfois qu'un pas !

Ce que l'on a pensé de La Demande en mariage & l'Ours de Tchekhov

« Mariez-vous vite et allez au diable ! » (Tchekhov)

Les deux pièces ? Excellentes ! Mordantes, hilarantes, percutantes, passionnantes, La Demande en mariage & l'Ours de Tchekhov manient à merveille les ficelles de la comédie : comique de répétition, de situation, de gestes, de mœurs, quiproquos et personnages croqués sur le vif... Un vrai régal dont on n'est pas prêt de se lasser !

En images, La Demande en mariage & l'Ours de Tchekhov au théâtre de l'Essaïon (Compagnie Mademoiselle S.) :


Côté mise en scène, Sophie Parel – qui interprète Natalia Stepanovna en alternance avec Karine Pinoteau, et que vous avez déjà pu apprécier sur les planches dans Plume d'Henri Michaux, mis en scène par Fabrice Eberhardt au Château Royal de Collioure, et dans L’Avare de Molière au Théâtre de la Porte Saint-Martin – exploite très bien l'espace exigu mais chaleureux des lieux : décors minimalistes, interactions avec la salle, touches humoristiques (on adore le portrait du défunt mari suspendu au mur de la veuve dans L'Ours)... Tout y est.
Quant aux acteurs, ils font tous les trois preuve d'un talent remarquable en interprétant des personnages hauts en couleur que l'on croirait taillés sur mesure. Mention spéciale pour Jérémy Bardeau (qui a notamment joué dans Chat en poche de Feydeau, mis en scène par Michel Morizot, et dans Le Misanthrope de Molière, mis en scène par Loïc Corbery au Théâtre Dejazet), qui incarne un Lomov plus vrai que nature dans La Demande en mariage. Chapeau bas !

Auteur : Cécile Duclos

Informations pratiques :
FNAC_generiq.gif
Une pièce de Tchekhov.
Mise en scène : Sophie Parel.
Avec (en alternance) : Jérémy Bardeau / Philippe Collin / Aliocha Itovich (Lomov et le valet Louka), Sophie Parel / Karine Pinoteau (Nathalia Stepanovna), Laurent Richard (Tchouboukov et l'Ours Smirnov).
Dates : du 3 septembre au 15 janvier, les lundis et mardis à 20h.
Durée : 1h15 sans entracte.
Tarifs : 20 € (plein), 15 € (réduit).
Adresse : Théâtre de l'Essaïon (6 rue Pierre au Lard, 75004 Paris).

Mon espace conso
La Demande en mariage et l'Ours de Tchekhov en poche :
Une demande en mariage : Et autres pièces en un acte, Anton Tchekhov, traduites par Denis Roche, Flammarion, octobre 2006.
Voir tous les produits (Livre, DVD, collectors...) autour de Tchekhov



Articles liés

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

 
Design by Free WordPress Themes | Bloggerized by Lasantha - Premium Blogger Themes | Best WordPress Themes