samedi 17 décembre 2011

Nils Ahl, Twin Peaks et les hiboux

Nils AhlDale Cooper et Diane, Laura Palmer et Bob, le Nain et le Géant, la Femme à la Bûche et le Manchot, sont autant de couples mythiques qui ont fait le succès de Twin Peaks, l'une des séries les plus emblématiques de l'histoire du petit écran. Victime de l'épidémie twinpeaksienne, Nils Ahl, écrivain, traducteur et collaborateur au Monde des livres, nous parle cette semaine de son amour inconditionnel pour David Lynch et de sa fascination pour cette série télé des années 90 qui s'est toujours payé le luxe de laisser dans l'incompréhension la plus totale un public totalement conquis. À la tête du Dictionnaire des séries télévisées (paru aux éditions Philippe Rey) avec Benjamin Fau, ouvrage auquel ont participé des écrivains comme Stéphanie Hochet ou Harold Cobert, Nils Ahl a chroniqué de nombreuses productions audiovisuelles, mais il était impossible de ne pas aborder le mystère Twin Peaks... Interview exclusive de Nils Ahl au Bang Bang bar avant son départ pour la Black Lodge.

A lire : les interviews de Stéphanie Hochet (Stéphanie Hochet, Desperate Housewives et les bonobos), d'Harold Cobert (Harold Cobert, Californication et Rock'n roll) et de Benjamin Fau (Benjamin Fau, The Wire, échec et mat).

Pour ouvrir la boîte de Pandore, c'est ici...
Bonus : Extrait du Dictionnaire des séries télévisées :
Nils Ahl (Twin Peaks) : « Twin Peaks est le lieu d'un combat magique et symbolique, entre forces du bien et du mal. Les fantômes et les fantasmes pullulent. Prostitution, meurtre, jeu, adultère – mais aussi rituels divers, esprits, créatures fantastiques, etc. ».

Nils Ahl : Twin Peaks, une petite communauté d'apparence banale

« L'enquêteur du FBI dépêché sur place est à la hauteur, c'est-à-dire qu'il est vraiment très en altitude. »

En quelques mots, de quoi parle la série Twin Peaks ?

D'une petite ville américaine perdue au fond des montagnes et de la forêt. Paysage typique pour fantômes et pour crimes mystérieux. D'ailleurs, on retrouve une adolescente assassinée sur les bords du lac. L'enquêteur du FBI dépêché sur place est à la hauteur, c'est-à-dire qu'il est vraiment très en altitude. Tout à l'instinct, plutôt la logique des rêves que celle des faits. Et sa plongée dans la petite communauté d'apparence banale va réserver quelques belles surprises : meurtres, perversions, sociétés secrètes, etc.
Comment décririez-vous l'atmosphère générale ?
Glauque, drôle, glissante, déroutante.

Nils Ahl, Twin Peaks et les hiboux

Nils Ahl : Twin Peaks fascine et agace

« Comme si Lynch avait absorbé tous les codes du petit écran, avait secoué tout cela dans un shaker et l'avait précipité sur la pellicule, dans un apparent désordre. »

Qu'avez-vous aimé dans cette série ?
L'impression de toujours comprendre de nouvelles choses, et de finalement ne rien comprendre ; cela vaut d'épisode en épisode, mais aussi à chaque fois qu'on la revoit par la suite. On pourrait en parler de plus en plus longtemps et trouver des interprétations de plus en plus raffinées et éloignées ; on comprend de moins en moins quand même.

Avez-vous été captivé par la série Twin Peaks ?
Oui, comme par quelque chose qui fait un peu mal quand même, qui agace. On est fasciné, mais on est aussi très contrarié par l'impression de discontinuité, de manipulation, de désorientation volontaire.

Cette série vous a-t-elle marqué ?
Oui, parce c'était à l'époque un mode de fiction inédit à la télévision, et pourtant très télévisuel. Comme si Lynch avait absorbé tous les codes du petit écran, avait secoué tout cela dans un shaker et l'avait précipité sur la pellicule, dans un apparent désordre. En fait de désordre, un esprit tordu et malin, voilà tout.

Qu'avez-vous moins aimé dans cette série ?
L'esthétique capillaire générale. Mais ce sont les années 80 que le cheveu doit oublier.

Si vous deviez être l'un des personnages de Twin Peaks, ce serait ?
James Hurley : j'adore sa moto.

Nils Ahl : Twin Peaks, un hommage ironique à Dynastie

« Je ne suis pas sûr d'avoir vu avant Twin Peaks une caméra plus attentive à des amours si banales et si belles. »

Snoqualmie Falls

Si vous pouviez changer quelque chose à l'intrigue de Twin Peaks, que feriez-vous ?
Une saison supplémentaire. Mais c'était possible, de fait. De toute façon, l'intrigue ne compte pas tant que cela dans cette série.

Quelle est votre scène préférée ?
Les scènes où l'agent Dale Cooper parle à son magnétophone, à l'intention de son assistante restée bien au chaud dans son bureau.

Une scène vous a-t-elle choqué ou dérangé ?
Quand Audrey, la fille du notable Benjamin Horne, décide de se prostituer pour aider à l'enquête et qu'elle comprend que c'est son père qui est le maquereau de la maison close. C'est une scène fabuleuse, et un peu dérangeante.
En images, la célèbre scène de la cerise avec Audrey Horne au One Eyed Jacks


Fait peur ?
Rien de rien. Ou alors un peu tout. C'est plutôt de l'angoisse et du désir mêlé que de la peur.

Troublé ?
Le regard de Sherilyn Fenn dans le rôle d'Audrey, l'adolescente pas si perverse.

Interpelé ?
Les amours tendres et passionnées du Sheriff adjoint Andy et de la réceptionniste du commissariat Lucy. Parce que ce sont des personnages évidemment limités, un peu ridicules, et pourtant très positifs, des candides un peu trop maladroits pour l'être... Je ne suis pas sûr d'avoir vu avant Twin Peaks une caméra plus attentive à des amours si banales et si belles.

Laissé dans l'incompréhension la plus totale ?
Il y en tellement...
Dans la Red Room... En images : 


Rappelé des souvenirs ?
Du point de vue de l'histoire de la télévision (et un peu du cinéma), Twin Peaks fonctionne en très grande partie sur le souvenir. Sur le souvenir d'autres séries et d'autres films. Le générique de fin, avec la photo de Laura Palmer, toute permanentée dans une pose archétypale et dans un cadre un peu moche : j'ai compris d'un coup le rapport avec le Soap Opera, l'hommage ironique (et pas tant que cela) à Dynastie.

Particulièrement marqué ?
La façon dont Lynch filme les visages qui se dégradent, qui deviennent fous, surtout ceux des parents de Laura Palmer.

Fait mourir de rire ?
Le bureau du psychanalyste obsédé par les mers du sud : Lawrence Jacoby.

Nils Ahl, Twin Peaks et La Fallingwater House

« Lynch et vous ? Un amour totalement asymétrique. Je l'aime d'amour et il m'ignore totalement. Mais il ne me connaît pas encore. »

Que pensez-vous du film, Twin Peaks : Fire walk with me ?
Je pense que j'aurais préféré une saison supplémentaire. Vraiment.

Lynch et vous ?
Un amour totalement asymétrique. Je l'aime d'amour et il m'ignore totalement. Mais il ne me connaît pas encore.

David Lynch

Si vous deviez rapprocher la série Twin Peaks d'un livre ou d'un auteur, ce serait ?
Ce serait Le Grand Sommeil mais écrit par un Dashiell Hammett fou de telenovelas, de beignets et de contes de fées.

Si vous deviez rapprocher cette série d'un film ou d'une autre série, ce serait ?
Le Prisonnier, assurément. Et pour des histoires de manchots : Le Fugitif.

Si vous deviez rapprocher cette série d'une peinture ou d'une sculpture, ce serait ?
Ce serait – pardonnez-moi – une maison. La Fallingwater House de Frank Lloyd Wright, parce que la façon dont l'architecte profite, joue et manipule le paysage se retrouve, selon moi, exactement dans la manière de Lynch quand il filme la Snoqualmie Valley.

La Fallingwater House

Le mot de la fin ?
« The owls are not what they seem » (en français : « Les hiboux ne sont pas ce que l'on croit »).

Interview réalisée par Cécile Duclos le 15 décembre 2011


Dictionnaire des séries télévisées, Nils Ahl, Benjamin Fau, aux éditions Philippe Rey, octobre 2011.

Bibliographie de Nils Ahl :
Les carnets souterrains de Zénon, Tome 2 : Le cimetière des livres venimeux, L’École des loisirs, 2010
Les carnets souterrains de Zénon, Tome 1 : Le palais de Cristal, L’École des loisirs, 2009
(écrit en collaboration avec Knud Rasmussen) Contes inuits : Un ourson chez les hommes, L’École des Loisirs, 2009
(écrit en collaboration avec Sandrine Martin et Anne-Catherine Boudet) Un ami bleu, Le Baron perché, 2007
Contes danois : Atis et Watis, L’École des Loisirs, 2004
Contes norvégiens : Le Château de Soria Moria, L’École des loisirs, 2002
(traduction) Bjarne Reuter, Le capitaine Bimse et le Gogguelet, L’École des loisirs, 2011
(traduction) Robert Mankoff, L'humour New Yorkais, Arènes Éditions, 2010
(traduction) Bjarne Reuter, L'anneau du prince, L’École des loisirs, 2009
(traduction) Daniel Tammet, Je suis né un jour bleu, Arènes Éditions, 2007
(traduction) Karen Jespersen et Ralf Pittelkow, Islamistes et naïvistes : Un acte d'accusation, Éditions du Panama, 2007
(traduction en collaboration avec Orlando de Rudder) Dan Turell, Meurtre à l'heure de pointe, Éditions de l'Aube, 2006
(traduction en collaboration avec Francine Girard) Kjell Ola Dahl, 96°, Gallimard, 2005
(traduction) Kim Fupz Aakeson, Grand-père est un fantôme, L’École des loisirs, 2005
(traduction) Gustav Wied, La Méchanceté de la vie, Ginkgo, 2004
(traduction) Bjarne Reuter, Je suis Hodder, L’École des loisirs, 2003


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Le Dictionnaire des séries télévisées
Dictionnaire des séries télévisées, Nils Ahl, Benjamin Fau, aux éditions Philippe Rey, octobre 2011.
Twin Peaks - Intégrale, le coffret complet en DVD
Twin Peaks, David Lynch, avec Kyle MacLachlan et Sheryl Lee, TF1 Vidéo, 2008.
Voir tous les produits (DVD, livres, etc.) autour de la série Twin Peaks
Twin Peaks - Fire Walk With Me
Twin Peaks, David Lynch, avec Sheryl Lee, Kyle MacLachlan, Ray Wise, Harry Dean Stanton, David Bowie, MK2, 2008.
Voir tous les produits (DVD, livres, etc.) autour de la série Twin Peaks
Les carnets souterrains de Zénon, Tome 2 : Le cimetière des livres venimeux, Nils Ahl, L’École des loisirs, 2010.
Voir tous les livres de Nils Ahl



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